épisodes Janvier 2021
65 WARA avec Jean-Fabien Steck
66 OCCUPIED avec Josée Provençal
67 Les SOPRANO avec Guillaume Bourgois
68 BARBAREN avec Catherine Virlouvet
69 BIR BASKADIR (ETHOS) avec Solene Poyraz
70 DEUTSCHLAND 86 avec Emmanuel Droit
71 CRAZY EX_GIRLFRIEND avec Fanny Beuré
72 LES PILIERS de la TERRE avec Clément Juarez
65 WARA
avec Jean-Fabien STECK

Jean-Fabien STECK
Maître de conférences HDR en géographie à l’Université Paris-Nanterre. Il est membre et co-directeur de l’UMR LAVUE (architecture, aménagement, villes, urbanisme, environnement). Ses travaux portent sur les informalités urbaines dans des villes d’Afrique, thématique qui lui permet d’aborder la question des liens entre politiques de développement, politiques d’aménagement et urbanisme. Après avoir travaillé sur des grandes villes (Abidjan, Lomé et Nairobi), ses recherches se tournent aujourd’hui vers l’étude de villes secondaires, en Côte d’Ivoire et en Guinée.
Résumé épisode 65
La série est disponible sur La série sur TV5 Monde : https://www.tv5mondeplus.com/details/vod/redbee:106815737_74079A
Une série dont la production est le résultat d’un montage original, impliquant l’Agence française de développement et l’organisation internationale de la francophonie et diffusé par TV5 Monde. Les producteurs sont donc français, nigériens, sénégalais, et viennent de différents horizons (production – MJP production, Astharté & Compagnie -, ONG - RAES (réseau africain pour l’éduction et la santé) -, bailleur international – AFD -).
Elle s’inscrit aussi dans le dynamique courant de productions de séries en Afrique occidentale francophone : son réalisateur, le français Charli Béleteau, dit ce qu’il doit aux réalisations de Magagi Issoufou Sani et à ses séries Bruit de tambours (à laquelle il est fait allusion par un clin d’œil dans Wara) et Fada ; c’est une équipe internationale de scénaristes ouest-africains et français, composée de Aka Assié, Awa Ba, Charli Beléteau, Renaud Beauchard, Aissata Dème, Moussa Diallo, Dialika Sané, Emma Sangaré et Merline Touko Tchoko, qui a rédigé le scénario.
La série apparait comme appartenant au genre de « l’édutainment », avec notamment une volonté de promotion d’un certain nombre de principes forts de la démocratie locale : participation ; engagement des acteurs de la société civile ; lutte contre la corruption. Quelques-uns des principes de la « bonne gouvernance », au cœur des Objectifs du développement durable… et qui justifie l’intérêt de l’AFD et d’une ONG comme RAES. La série est construite autour d’un triptyque : mobilisation sociale, plaidoyer, communication sociale.
Le cadre est celui d’une campagne électorale municipale en 2024 dans une ville secondaire, Tanasanga. Unité de temps et unité de lieu.
La série a été tournée à St-Louis, au Sénégal, et l’on retrouve, discrètement, quelques-unes des caractéristiques de cette ville : le fleuve, omniprésent dans les plans de coupe ; la proximité des espaces agricoles et leur valorisation par une entreprise agro-alimentaire ; les enjeux environnementaux spécifique (salinisation des sols, pollution par les engrais des nappes).
Au-delà de St-Louis, c’est bien plus la figure de la ville secondaire qui est mise en avant. On y retrouve une taille propice à l’interconnaissance de l’ensemble des acteurs mis en scène ; on y voit les transformations qui connaissent ces villes dans un processus de métropolisation par le bas, dont l’université est le symbole ; on voit l’enjeu que représente l’inscription de la ville dans des programmes de développement qui lui sont essentiels, ici le programme « ville émergente », plus vrai que nature.
Cette campagne électorale est l’occasion de mettre au jour quelques éléments saillants, qui méritent attention.
La série aborde frontalement deux grandes questions sociales.
La question de la place de la jeunesse : l’université et la question des bourses ; la question de l’emploi ; la question de leur place en politique.
La question de la place des femmes et du poids du patriarcat : la lutte des femmes et la question de leur politisation ; la place des femmes dans les partis politiques ; la place des femmes au sein du ménage.
On remarquera toutefois que la série ne tourne qu’autour des classes moyennes, catégorie bien vague mais qui ici laisse peu de place à la représentation de la diversité sociale. Même le personnage de la grand-mère de l’héroïne Aïcha, marchande de pagnes au marché, représente la catégorie sociale la plus élevée des marchandes. Les réseaux sociaux représentés dans la série sont ceux d’une classe moyenne intellectuelle aisée – un enjeu d’identification par le haut pour les spectateurs ?
La série est ponctuée, structurée jusqu’à un certain point, par des problèmes et des enjeux de gestion municipale qui sont susceptibles de parler aux spectateurs : la tentative de déguerpissement d’un marché ; la question de la gestion des services urbains, notamment déchets et eau ; l’absence d’autonomie de trésorerie et la dépendance vis-à-vis de financements extérieurs…
La série aborde enfin, et c’est son fil conducteur, la question de la corruption, au moins autant prise individuellement que comme un système d’ensemble qui pousse les acteurs politiques traditionnels à se positionner d’abord par rapport à leurs intérêts propres. L’un des enjeux fort de la série est de montrer comment, dans le parti d’opposition, s’opposent deux conceptions de la politique, l’une que l’on pourrait qualifiée d’utilitariste intéressée, l’autre d’idéologique, portée par les jeunes et incarnée par un ancien qui fut un jeune idéaliste… La place du journalisme libre est aussi évoquée.
A noter, la saison 1 de 8 épisodes ne s’achève pas et laisse le spectateur en plein suspense.
Sur la série, quelques articles utiles :
Un entretien avec le réalisateur sur le site du CNC : https://www.cnc.fr/series-tv/actualites/charli-beleteau-raconte--wara--sa-serie-tournee-en-afrique_1332545
Une présentation de la série par Katia Dansoko Touré dans Jeune Afrique : https://www.jeuneafrique.com/1054099/culture/dans-les-coulisses-de-la-serie-wara-thriller-politique-de-tv5-monde/
Une présentation de la série par Thomas Sotinel dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/11/17/wara-sur-tv5-monde-une-saga-politique-sur-fond-de-melodrame_6060050_3246.html
Bibliographie indicative sur les villes africaines :
Chenal J., La ville ouest-africaine, modèles de planification de l'espace urbain. Genève : Metispress, 2013
Maillard T., « Les sources de légitimité des associations de quartier, un outil d'analyse de la gouvernance urbaine à Saint- Louis (Sénégal) » dans Légitimités d’en haut, Légitimités d’en bas : Postures d’acteurs. Nanterre : LADYSS, 2018 URL : https://hal-univ-paris8.archives-ouvertes.fr/hal-01826189/document
Morange M., Spire A., « Le droit à la ville aux Suds. Appropriations et déclinaisons africaines », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Espace, Société, Territoire, document 895, 2019, DOI : https://doi.org/10.4000/cybergeo.32166
Myers G., African Cities: Alternative Visions of Urban Theory and Practice. London: Zed Books
Simone A., The Social Infrastructures of City Life in Contemporary Africa. Uppsala: Nordiska Afrikainstitutet, 2010
66 OCCUPIED
avec Josée PROVENCAL

Josée PROVENCAL
Docteure en sciences politique de l'Université de Montréal. Spécialiste de l'étude des politiques environnementales et des évolutions sociétales des pratiques énergétiques
Résumé épisode 66
Contexte | Vraisemblances (±)
Géopolitique de l’énergie « dans un avenir proche »: À nuancer avec la réalité
Autosuffisance énergétique des États-Unis
Tension, guerre civile, Pays Arabes : interruption de la production de pétrole
Europe au bord de la crise énergétique
Norvège arrête toute production de pétrole et de gaz naturelle pour lutter contre les changements climatiques
Deuxième guerre mondiale : occupation Norvège par IIIe Reich
Perspective de l’auteur Jo Nesbø – collaborer ou résister (tension au sein d’une même famille, d’une nation)
Perspective de la nord-américaine que je suis, territoire vierge de guerre. Thriller géopolitique sur fond de crise climatique et de sécurité énergétique.
Trop peu traité
Temporalité (2 ans et demie) | Urgence d’agir
Saison 1 : Avril à décembre (Statoil HQ)
Saison 2, août à février
Saison 3, mars à septembre
Géopolitique de l’environnement et de l’énergie
L’énergie au cœur de nos sociétés modernes
De la révolution industrielle à la révolution numérique
Gouvernance énergétique mondiale fragmentée
La sécurité énergétique,
Définition classique (4A – Availability, accessibility, affordability, acceptability)
Néoréalisme (Perspective de l’UE et de la Russie, Occupied)
Institutionnalisme néolibéral
Constructivisme
Décroître : une idée radicale
Résistance (UE-Russie) vs changement de paradigme (jasper Berg)
Produire moins, consommer mieux
Partager plus
Décider ensemble
BIBLIOGRAPHIE indicative
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Van de Graaf, T., Sovacool, B. K., Ghosh, A., Kern, F., & Klare, M. T. (2016). The Palgrave Handbook of the International Political Economy of Energy. Palgrave.
Van de Graaf, T. et Sovacool, B. K. (2020) Global Energy Politics (Polity)
67 Les SOPRANO
avec Guillaume BOURGOIS

Guillaume BOURGOIS
Guillaume Bourgois est maitre de conférences en études cinématographiques à l'université Grenoble-Alpes. Il travaille principalement sur le cinéma portugais, les films de Jean-Luc Godard, le cinéma étatsunien et les séries TV. Il a notamment publié en 2019 l'ouvrage d'analyse filmique Dialoguer avec Ray, Godard, Visconti and Friends - Regards et écoutes chez L'Harmattan.
Résumé épisode 67
Les Soprano, c'est d'abord un jeu de double qui se fait entre le créateur de la série, David CHASE, et son personnage principal, Tony-James Gandolfini, avec quelque chose d'un ogre aux allures de Créature frankensteinienne qu'il lance sur le monde pour le phagocyter et le dévorer - une Créature qui ne cesse de croître, de s'approprier les autres, leurs modes de vie, leurs références, tout en leur transmettant le mal qui la ronge.
À partir de là, il faut envisager la question du corps, qui est capitale dans la série, celle de corps animalisés et pensants, notamment à travers la lutte corporelle et verbale entre Tony et Melfi, où deux milieux sociaux et deux visions du monde se mettent à l'épreuve (Il n'est pas impossible de parler à ce moment-là de L'Histoire populaire des USA de Howard ZINN). Ceci nous amènera à parler de l'importance de la nourriture dans Les Soprano, à la fois la nourriture qu'on consomme et celle dont on ne cesse de parler - nourriture qui avec les séances de psy participe à une ritualisation mettant en place une sorte de festin permanent.
Ensuite, j'aimerais emprunter deux détours par la pensée deleuzienne:
1) Rappeler que Deleuze parle du désir comme fonctionnant essentiellement sur le modèle d'agencements et comprendre en quoi il y a un art de l'agencement dans la série, qui concerne nourriture et désir, ce que l'on voit/ce qu'on en dit, mais qui prend aussi la forme d'agencements narratifsdans la construction des épisodes ou d'un agencement global vie quotidienne-vie extraordinaire des figures principales-médiatisation par le cinéma.
2) Parler de l'importance de la sérialisation et de la mise en série dans les Soprano (ce par quoi la série ne se cache pas et ne s'excuse jamais d'être une série TV), qui déploie de formidables proliférations sérielles que l'on peut mettre en lien avec la belle phrase de Péguy citée par GD dans Différence et répétition : "c'est le premier nymphéa qui répète les autres".
Ceci pour conclure sur la répétition et l'effet d'épuisement impossible dans la série, qui participe d'une sorte d'expérience métaphysique d'acceptation du monde.
Bibliographie Indicative :
BURDEAU La Passion de Tony Soprano chez Capricci
Les Soprano - l'Amérique désenchantée aux PUF par Frédéric Foubert et Florent Loulendo.
68 BARBAREN
avec Catherine VIRLOUVET

Catherine VIRLOUVET
Professeur émérite d’Aix-Marseille Université- rattachée au Centre Camille Jullian. Ancienne élève de l’ENS de Fontenay-aux-Roses, agrégée d’histoire, ancien membre de l’École française de Rome, docteur en histoire de l’Université de Paris 1, habilitée à diriger des recherches par l’université de Paris 1.
Résumé épisode 68
Un premier focus sur l’événement en lui-même sur lequel est focalisée la série, la bataille de Teutobourg, et le traumatisme qu’elle représenta pour les Romains.
Cette partie se termine sur la question de savoir si Auguste a aussi vite renoncé à la conquête de l’Allemagne jusqu’à l’Ebre que ne le disent les historiens romains du 2e siècle.
Présentation des deux provinces de Germanie Supérieure et Inférieure, en rive gauche du Rhin que je conclus par « sur le coup, il n’est pas sûr qu’Auguste ait renoncé aussi vite à la conquête. »
Les sources : un événement bien connu par des sources romaines.
Des témoignages archéologiques incertains.
Des sources littéraires nombreuses
Lié à la partie sur les sources Catherine Virlouvet présente le cénotaphe d’un centurion tué pendant la bataille, Marcus Caelius, qui se trouve au musée de Bonn.
Elle termine par la présentation du témoignage de Dion Cassius, le plus éloigné des faits mais le plus détaillé, dont la série suit assez fidèlement le récit.
Rome et les Germains, et à travers cet exemple, l’attitude de Rome à l’égard des peuples conquis plus généralement
Comment les Romains voyaient les Germains (essentiellement à partir de La Germanie de Tacite)
Comment les Romains menaient leurs conquêtes à travers l’exemple des Germains : une conquête militaire, mais aussi diplomatique, par alliance avec les aristocraties locales (otages, octroi de la citoyenneté romaine, etc).
En terminant la description de ce processus, elle insiste sur le fait que les Romains, avant Teutobourg, paraissaient bien en passe de conquérir plus avant la Germanie, jusqu’à l’Elbe.
Est-ce la bataille de Teutobourg qui a mis fin à l’entreprise de conquête par les Romains de la Germaine ?
Crainte des Romains à l’annonce de Teutobourg.
Les mesures prises par Auguste, les campagnes de Tibère (10 à 12)
Le testament d’Auguste : ne pas étendre les bornes de l’imperium ?
Les campagnes de Germanicus (15 à 17) et le coup d’arrêt de Tibère
D’Arminius à Hermann, les mystères du Vercingétorix allemand
Bibliographie Indicative :
Elle est surtout anglo-saxonne. En français, on mentionnera :
Pierre Cosme, L’armée romaine, VIIIe s. av. JC – Ve s. ap. JC, Paris, A. Colin, 2007.
Yann Le Bohec, La "bataille" du Teutoburg 9 après J.-C (Biographie), Nantes, Les Éd. Maison, coll. « Illustoria » (no 3), 2008, 59 p.
Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier, Les Gaules et les Germanies, dans C. Lepelley dir., Rome et l’intégration de l’Empire, vol. 2, PUF, Nouvelle Clio, 1998, p. 143-195.
Michel Reddé, Siegmar von Schnurbein (Hg.) : Alésia et la bataille du Teutoburg. Un parallèle critique des sources. Jan Thorbecke Verlag, Ostfildern 2008 (Beihefte der Francia, hrsg. vom Deutschen Historischen Institut Paris, Bd. 66)
Yann Rivière, Germanicus, Paris, Perrin, 2016.
Principales publications de Catherine Virlouvet
-Famines et émeutes des origines de la République à la mort de Néron, Rome, 1985, 137 p.
-Tessera frumentaria. Les procédures de la distribution du blé public à Rome, Rome, 1995, 424 p. Prix S. Reinach 1996 de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
- B. Marin, C. Virlouvet (dir), Nourrir les cités de la Méditerranée. Antiquité-Temps modernes, Maisonneuve & Larose, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, Paris, 2004, 900p.
-La plèbe frumentaire dans les témoignages épigraphiques. Essai d’histoire sociale et administrative du peuple de Rome antique, Rome, 2009, 300 p.
- B. Marin, C. Virlouvet (dir), Nourrir les cités de la Méditerranée. Antiquité-Temps modernes, Maisonneuve & Larose, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, Paris, 2004, 900p.
- V. Chankowski, X. Lafon, C. Virlouvet (dir.), Entrepôts et circuits de distribution en Méditerranée antique, BCH supp. 58, Athènes, 2018, 312 p.
- Dans la collection Mondes Anciens dirigée par J. Cornette aux éditions Belin, directrice des trois volumes sur l’Histoire de Rome.
Déjà parus :
P. Faure, N. Tran, C. Virlouvet, Rome. Cité universelle. De César à Caracalla, 70 av. J.-C.-212 ap. J.-C., Belin, 2018, 871 p.
C. Sotinel, Rome, la fin d’un empire. De Caracalla à Théodoric, Belin, 2019, 686 p.
À paraître le 21 avril 2021
S. Bourdin, C. Virlouvet, Rome, la construction d’un empire. De Romulus à Pompée.
Stèle funéraire du centurion Marcus Caelius
Source Catherine Virlouvet

Le monument à Hermann
Source Catherine Virlouvet

69 BIR BASKADIR (Ethos)
avec Solene POYRAZ

Solene POYRAZ
Doctorante en 2ème année à l’EHESS en études politiques.
Sujet de recherche : les effets de la crise syrienne sur la Turquie depuis 2011.
Vit depuis 3 ans à Istanbul.
Boursière à l’IFEA (Institut Français d’Études Anatoliennes) à Istanbul
Membre fondatrice de AYAK groupe d’entraide entre chercheurs travaillant sur la Turquie : https://ayak.hypotheses.org/
Résumé épisode 69
La série turque “Bir Baskadir” (Ethos), sortie le 12 novembre 2020 et réalisée par Berkun Oya, a fait beaucoup parler d’elle. Les chroniqueurs, les académiciens, les militants et les réseaux sociaux se sont emparés de la série, laissant entrevoir que la société en avait assez de parler du “pouvoir” et qu’elle avait envie de parler d’elle-même. Malgré les critiques qu’on peut lui adresser, la série met en avant la place du silence, et son poids.
La réception en Turquie: qu’on l’ai aimée ou pas, on a envie d’en parler ! La série semble avoir ravivé les débats sur certaines thématiques, réinterrogant la place du tabou et l’importance de la mise en voix, de la communication.
Le recours à certains clichés
Une caricaturisation à l’extrême des groupes sociaux (les séculaires-kémalistes vs les conservateurs religieux), c’est quand même réducteur.
La reproduction à l’écran de l’idéal-type des “Turcs blancs” et des “süsluman” (un jeu de mots entre “süslü” qui veut dire coquet et musulman) a été vivement critiquée.
De même, la catégorisation Turcs/Kurdes est maladroitement mise en scène et a fait l’objet de polémiques.
Sentiment de frustration et d’enfermement
Le réalisateur nous force un peu la main: rien n’est laissé au hasard (pas de place à l’improvisation pour les acteurs ni à l’imagination pour le spectateur).
On ressent une forte nostalgie de la part du réalisateur (chansons choisies, image, thématiques).
La place des femmes dans la série
Critique féministe qui reproche à la série le recours à un langage masculin: “c’est du déjà vu”. La série met en scène des femmes qui travaillent, s’occupent des enfants, divertissent la société, soignent, et qui sont pourtant très seules. Et les hommes rajoutent à leur solitude. Alors que les femmes peuvent être le remède les unes pour les autres, pour s’élever, se relever, se soulever.
Questions éthiques
Dénoncée pour des scènes immorales, cela pose aussi la question de l’utilisation de la plateforme Netflix par certains réalisateurs pour avoir plus de libertés.
Le rôle du Conseil suprême de la television et de la radio (RTUK) est limité quand il s’agit de Netflix alors qu’il adresse régulièrement des amendes pour les series télévisées turques.
Bibliographie sélective:
Bibliographie sélective:
Eva Bernard, “La Convention d’Istanbul sauve des vies”, AYAK, 4 décembre 2020, https://ayak.hypotheses.org/72
Ariane Bonzon, “ ‘Bir Baskadir’, la série turque de Netflix que les Français seraient bien avisés de regarder”, Slate, 21 décembre 2020. http://www.slate.fr/story/198277/bir-baskadir-serie-netflix-turquie-istanbul-fracture-islamisme-regarder-france
Anne-Dominique Correa, “Engouement latino pour les séries turques”, Le Monde Diplomatique, Novembre 2020.
Haziran Düzkan, “Bir Baskadir: Sakin kader deme” (“Ethos: ne me parle surtout pas de destin”), 5Harfliler, 17 octobre 2020. https://www.5harfliler.com/bir-baskadir-sakin-kader-deme/
Nazlan Ertan, “Top Netflix drama lays open Turkish divides”, Al Monitor, 24 novembre 2020. https://observatoireturquie.fr/index.php/2020/11/24/al-monitor-top-netflix-drama-lays-open-turkish-divides-by-nazlan-ertan/
Julien Paris, “Succès et déboires des séries télévisées turques à l’international. Une influence remise en question”, Géopolitique de la Turquie, Hérodote, 148, premier trimestre 2013.
Marie Tihon, “Münevver Kizil, sept années de combat contre l’impunité”, RTBF, 25 novembre 2020, https://www.rtbf.be/info/dossier/les-grenades/detail_munevver-k-z-l-sept-annees-de-combat-contre-l-impunite?id=10639471
Publications de Solène Poyraz :
« La figure du Syrien à Istanbul comme source d’angoisses urbaines : construction et instrumentalisation », Actes du colloque « Peurs urbaines », organisé par l’université Bordeaux Montaigne, à paraître.
« Intégration ou désaffiliation: de la difficulté de penser l’éducation des enfants syriens en Turquie », « La ‘crise des réfugiés’, vue de Turquie », Anatoli, n° 9, octobre 2018.
« Syrian Children in Turkey: The Little Workers Need to Go Back to School”, Refugee Review, Novembre 2017.
70 Deutschland 86
avec Emmanuel DROIT

Emmanuel DROIT
Emmanuel Droit est Professeur d’histoire contemporaine à Sciences Po Strasbourg. Ancien directeur adjoint du Centre Marc Bloch, il fut fellow du centre d’histoire du temps présent de Potsdam et de l’Institut d’Études Avancées de Nantes. Spécialiste de la RDA et de la guerre froide, il vient de publier récemment une synthèse sur l’histoire quotidienne de la RDA au PUF.
Résumé épisode 70
Deutschland 86 :
Entre internationalisation et banqueroute de la RDA
I- Prolonger le succès de la première saison
Série en dix épisodes de 45 minutes chacun, diffusée en 2018 sur Amazon Prime qui a contribué au financement de cette deuxième saison. La chaîne privée RTL n’avait pas voulu être associée au financement après des audiences médiocres lors de la diffusion de la première saison en 2015.
La série a été diffusée aux États-Unis sur Sundance TV, en France par Canal + et en Suisse par la RTS.
De nouveau écrite par Anna Winger, la saison 2 mobilise les mêmes personnages mais cette fois l’idée, c’est d’internationaliser l’action en multipliant les intrigues et les terrains : Afrique du Sud, Angola, Libye.
Mis sur la touche depuis 3 ans, Martin Rauch est exilé en Angola. Il reçoit la visite de sa tante Lenora, agent du renseignement extérieur est-allemand, qui lui demande de reprendre du service pour une nouvelle mission
Cela fait trois ans que Martin Rauch, agent de la RDA, est exilé en Angola. Il reçoit la visite de Lenora, sa tante, elle aussi agent de la Stasi, qui lui demande de reprendre du service sur une nouvelle mission.
Mise en lumière d’une nouvelle année pivot après celle de 1983 dans la première saison : 1986 comme début de la fin du communisme de type soviétique.
C’était le Titanic lancé à pleine vitesse vers l’iceberg, conscient de la catastrophe à venir mais incapable de changer de cap pour Anna winger
danger du regard rétrodictif : parler des années 1980 alors que l’on connaît la fin
II- Les thèmes principaux de la série
Une RDA au bord de la banqueroute
Aux abois sur le plan financier depuis le début des années 1980, sauvée de la banqueroute une première fois en 1983 grâce au prêt accordé par la RFA, la RDA a besoin de devises pour continuer à financer sa coûteuse politique sociale.
Barbara Dietrich (Anke Engelke) et Annett Schneider (Sonja Gerhardt), la mère de Max (le fils de Martin) et nouvelle recrue à la Stasi en charge des affaires économiques, mettent sur pied toute une série d’opérations pour ramener de l’argent dans les caisses de l’État
Paradoxe : utiliser les recettes du capitalisme pour défendre une idéologie communiste sclérosée
utiliser des patients est-allemands pour tester de nouveaux médicaments ouest-allemands (rôle de Tina Fischer, ce médecin est-allemand qui découvre
contourner l’embargo pour vendre des armes en Afrique du Sud à l’armée sud-africaine avec l’achat d’un ancien paquebot de la télé ouest-allemande pour affréter des missiles jusqu’au Cap…
Allusion à la KoKo : « coordination commerciale », bureau économique aux pratiques douteuses dirigée par Alexander Schalck-Golodkowski et créée en 1966.
La multiplication des intrigues
L’un des défauts de Deutschland 86 est de multiplier les intrigues qui sont censées se croiser :
Le terrorisme sponsorisé par la Libye de Khadafi (allusion à l’attention contre la discothèque La Belle en 1986 fréquentée par des soldats américains) : on circiule entre Paris et Berlin. L'explosion d'une bombe en 1986 à Berlin-Ouest dans une discothèque fréquentée par les GI avait fait trois morts et 260 blessés. La Libye, reconnue coupable par l'Allemagne en 2001, avait accepté en septembre 200’, de verser une somme totale de 35 millions de dollars (28,8 millions d'euros) à 168 victimes non américaines de l'attentat.Les États-Unis n'avaient pas attendu jusque-là pour mettre en cause la Libye dans cet attentat, et dans d'autres commis à l'époque contre leurs intérêts, et le président Ronald Reagan avait ordonné des représailles en faisant bombarder peu après des cibles stratégiques à Tripoli et Benghazi par l'aviation américaine. Cible principale du raid d'avril 1986 contre Tripoli, le colonel Kadhafi lui-même en avait réchappé de peu, mais sa fille adoptive avait été tuée, et plus d'une trentaine d'autres personnes y avaient trouvé la mort.
L’accident de Tchernobyl
La médiatisation de l’épidémie de Sida
L’adoption d’enfants de parents jugés indignes par l’État d’élever leurs enfants
La volonté de Martin de retrouver son fils Max
Feu vert donné pour Deutschland 89 en 2018 et le tournage a en effet commencé à Berlin, à Potsdam et en Allemagne Centrale, pour une diffusion en 2021 en France.Cette troisième saison s’étalera sur l’espace d’une année et devrait se conclure en octobre 1990 avec la réunification de l’Allemagne. Côté casting, pas de surprise, tous les protagonistes principaux seront de retour.
Bibliographie sélective
Frank Bösch (dir.), A History Shared and Divided: East and West Germany since the 1970s, Oxford, Berghahn Books, 2018.
Hélène Camarade, Elizabeth Guilhamon, Matthias Steinle, Hélène Yèche (dir.), La RDA et la société postsocialiste dans le cinéma allemand après 1989, Lille, PU du Septentrion, 2018
Emmanuel Droit, Les polices politiques du Bloc de l’Est. A la recherche de l’Internationale tchékiste, Paris, Gallimard, 2019
Emmanuel Droit, 24 heures de la vie en RDA, Paris, PUF, 2020.
Jean-Paul Picaper, Berlin-Stasi, Paris, Ed. des Syrtes, 2009.
71 Crazy Ex-Girlfriend
avec Fanny Beuré

Fanny BEURE
Maîtresse de conférences en études cinématographiques à l’Université de Lorraine. Elle est l’autrice de That’s Entertainment! Musique, danse et représentations dans la comédie musicale hollywoodienne classique(Sorbonne Université Presses, 2019) et a publié de nombreux articles scientifiques sur les séries télévisées musicales et les films musicaux classiques et contemporains.
Elle co-anime avec Anna Marmiesse le podcast All That Jazz, consacré à la comédie musicale :https://allthatjazzpodcast.wordpress.com/
Résumé épisode 71
Présentation de la série
Diffusion, créatrices, réception
Pitch
Une série musicale
Une série référentielle et méta
Personnages et casting
Présentation de l’axe d’analyse (analyse de représentations, analyse de la musique et de la danse)
L’importance d’analyser les représentations
Le rôle primordial de la musique dans la narration sérielle
Une série féministe
Rôle des créatrices et genres « féminins »
Les relations avec les hommes
Les relations entre femmes
Le rapport des femmes à leur propre corps
La maternité comme expérience sociale
Déconstruction de la virilité
Une série inclusive
Ethnicités
Physiques et morphologie
Sexualités
Identités de genre
Une série sur les troubles psychologiques
Décrire en profondeur la dépression
Explorer la guérison
Bibliographie sélective
Beuré Fanny (2020), « Subversion d’un genre classique dans une série contemporaine : la relation plurielle de Crazy Ex-Girlfriendaux conventions du film musical », dans Crémieux Anne et Hudelet Ariane (dir.) La Sérialité à l’écran, Tours: Presses Universitaires François Rabelais, p. 213-233.
BranfmanJonathan (2020), «Jewy/screwy leading lady: Crazy Ex-Girlfriendand the critique of rom-com femininity », Journal of Modern Jewish Studies, 19:1, p. 71-92
BloomRachel (2020), I Wanna Be Where the Normal People Are, New York: Grand Central Publishing.
FordJessica & MacrossanPhoebe(2019), «The musical number as feminist intervention in Crazy Ex-Girlfriend», The Australasian Journal of Popular Culture, 8(1), p. 55-69.
Horn Katrin (2019), « ‘Period Sex’: Crazy Ex-Girlfriend and the Feminist Politics of Offence»,dans Graefer Anne (ed.), Media and the Politics of Offence,Basingstoke: Palgrave, p. 127-145.
Pickette Samantha (2020), « Suffering, stereotypes, and psychosis: the representation of Jewish femininity in Crazy Ex-Girlfriend »,Journal of Modern Jewish Studies, 19:1, p. 51-70.
Chaînes Youtube et podcasts
La chaîne YouTubeBagels after midnight
La chaîne YouTube de Rachel Bloom
Episode du podcastAll That JazzsurCrazy Ex-Girlfriend
72 Les Piliers de la Terre
avec Clément Juarez

Clément JUAREZ
Doctorant à l’Université Toulouse Jean Jaurès en histoire médiévale, travaille sur les réseaux des artisans et entrepreneurs du bâtiment Toulousain au Moyen Âge. Ses travaux de recherche sont soutenus par une entreprise de restauration de Monuments Historiques, ainsi qu’un cabinet de recherche spécialisée dans les techniques de construction médiévales, la reconstitution de chantiers médiévaux et la fabrication de machines de construction à taille réelle.
Clément Juarez est également le président d’une association appelée Saga Films dont le but est de promouvoir l’histoire à travers l’audiovisuel en mettant en relation les métiers de l’histoire et les métiers du cinéma.
Résumé de l'épisode 72
Le livre / La série
Présentation rapide de l’intrigue et des personnages principaux
Les Piliers de la terre est un roman historique écrit par l’auteur gallois Ken Folletten 1989 et paru en Français en 1990. Dans ce roman et dans l’adaptation en série, nous sommes transportés dans l’Angleterre du XIIe siècle. L’action tourne autour de la construction d’une cathédrale entrepris par le prieur du village (fictif) de Kingsbridge, dans le comté de Shiring au nord Winchester. On suit plusieurs personnages - Maître maçon Tom Builder interprété par Rufus Sewell, le sculpteur Jack Jackson [Eddie Redmayne], le prieur Philip [Matthew Macfadyen], l’évêque Walaren Bigod [Ian Mcshane], William Hamleight [David Oakes] et bien d’autres – dont les destinées sont étroitement liées, consciemment ou non, à la construction de cette cathédrale. L’intrigue couvre la période entre le naufrage de la Blanche-Nef, en 1120, où le fils du roi d’Angleterre Henri 1er Beauclerc périt, jusqu’à l’assassinat de l’archevêque de Canterbury Thomas Becket en 1170. Le chantier de la cathédrale se développe en pleine lutte de pouvoir entre la fille d’Henri 1er, Mathilde (appelée Maud dans la série – Alisson Pill), mariée au comte d’Anjou Geoffroi Plantagenêt, et son cousin Etienne de Blois (appelé Stephen dans la série – Tony Curran).
Au début de la série on suit Tom Builder, son épouse Agnès et leurs deux enfants. Tom est un maître maçon, sans le sou, dont le rêve absolu est de construire une cathédrale. Alors qu’ils sont à la recherche d’un nouveau chantier, son épouse meurt en couche et il contraint d’abandonné son bébé, qui sera finalement récupéré et amené au monastère de Kingsbridge. Sur son chemin, Tom et ses enfants rencontrent Ellen et son fils Jack Jackson. Ces derniers se joignent à eux, Tom tombant amoureux de la mystérieuse Ellen et prenant sous son aile Jack. Tiraillé par la faim, la nouvelle famille arrive à Kingsbridge avec l’espoir de trouver du travail.
Malgré sa générosité, le prieur du monastère, Philip, ne peut rien leur proposer à part le gîte pour la nuit. Tourmenté par la peur de mourir de faim, Jack décide de mettre le feu à la vieille cathédrale du monastère. L’incendie détruit l’ensemble du bâtiment et laisse des moines et un village entier dévastés par la perte de leur lieu de culte. Tom y voyant un signe de Dieu, propose au prieur Philip de reconstruire la cathédrale. Ce dernier accepte. Le chantier de l’édifice devra surmonter de nombreux obstacles disséminés dans les huit épisodes de la série. Des obstacles en majeure partie dû à l’ambitieux prêtre, puis évêque, Waleran Bigot et à la manipulatrice famille de la seigneur, Hamleigh.
Présentation du réalisateur et du producteur de la série
Le livre de Ken Follett est adapté à la télévision en 2010 dans une mini-série de 8 épisodes. Elle est réalisée par Sergio Mimica-Gezzanqu’on a pu voir aux commandes de plusieurs épisodes de la série prison break et de la série Heroes. Plus récemment, Sergio a aussi dirigé la série « Les Médicis : Maîtres de Florence ». La production de la série est assurée par la boîte Scott free film qui appartient au très connu Ridley Scott et sa filmographie internationale : Gladiator, Kingdom of Heaven…etc. Un habitué des grosses productions dites entre guillemets historiques. On sait qu’il se permet très souvent des facilités, et nous verrons s’il a fait de même avec Les piliers de la Terre. Soyons clair, le livre de Ken Follet faisant près de 1000 pages, il y a des raccourcis, des modifications pour la série et c’est normal, mais aussi des représentations caricaturales, moins développé que dans l’ouvrage (une justice expéditive et sanglante, un roi tout puissant, une chasse aux sorcières…). De nombreux sujets donc, mais pour aujourd’hui mon analyse va rester focaliser sur les thématiques liées à la construction des cathédrales au Moyen Âge, ainsi qu’à ceux et celles qui les ont construites.
Thème 1 - La représentation des cathédrales dans Les Piliers de la Terre
Rappel – Qu’est-ce qu’une cathédrale ?
On associe les grands chantiers des cathédrales à la renaissance des villes du XIIe-XIIIe siècle. Le mot « cathédrale » vient du mot « cathèdre », le siège. La cathédrale est le siège de l’évêque, qui est à la tête d’un diocèse. C’est l’église de l’évêque. Chaque diocèse a son évêque, et chaque évêque a sa cathédrale. Une cathédrale est composée d’un chœur, d’un transept, d’une nef et d’un massif occidental par où entrent des fidèles.
Dans la série le commanditaire de la cathédrale est Philip, le prieur du monastère. Il faut avouer que je n’ai pas d’exemple en tête d’un prieur ayant été le commanditaire d’une cathédrale au Moyen Âge. Si on met ça de côté, Philip demande de l’aide à l’évêque en place, pour qu’il apporte un soutien à la construction. Malheureusement, ce dernier est assassiné et Waleran Bigod prend sa place à la tête du diocèse. À partir de ce moment-là, il ne va pas cesser de s’opposer à la construction, par jalousie envers le prieur ou par peur du retour d’un passé trouble. Tout au long de la série, on va nous montrer un évêque qui préfère construire son palais pour assoir son autorité (on voit dans les premiers épisodes qu’il est moqué par l’état de son palais par l’archevêque), plutôt que construire une cathédrale. Pourtant, au Moyen Âge, les évêques voulaient un lieu à la hauteur de leur pouvoir : la cathédrale en était justement le symbole. Du point de vue historique, c’est un mauvais point pour la série.
Les manifestations du roman et du gothique dans la série
Le roman
C’est dans le premier épisode que l’on voit pour la première fois apparaître une cathédrale, celle du monastère de Kingsbrige lors de la visite de Philip auprès du vieux prieur sur son lit de mort. On constate que l’église est dans un état délabré, une partie est déjà en train de s’effondrer. L’atmosphère est glaciale, il fait sombre, il pleut, on est dans le thème de l’hiver médiéval. On retrouve dans ce bâtiment les caractéristiques principales de l’art roman : une église massive et peu lumineuse, mais la richesse de l’ornementation et la polychromie sont oubliées ou peu représentées. En Angleterre, ces édifices sont déjà de très grandes tailles avec des nefs et des chœurs longs. L’originalité de l’architecture romane anglaise, c’est l’emploi précoce de voûtes sur croisées d’ogives, que l’on associe généralement à l’art gothique. Commencée en 1093 et consacré en 1133, au nord de l’Angleterre, la cathédrale de Durham en est le plus bel exemple. Dans la série nous sommes en 1138, ce qui nous fait arriver à la fin d’une grande période d’activité architecturale poussée par les rois normands. L’état délabré de la cathédrale de Kingsbridge apparaît un peu hors de ce contexte. Cette représentation colle plus avec la situation de certains édifices religieux autour de Paris qui étaient pour la plupart vieux, et remontaient soit à l’Antiquité tardive soit au premier roman (XIe - milieu XIIe siècle).
Le gothique
Le gothique est le fruit d’un long processus dans lequel l’accumulation au fil du temps d’innovations de détails, sans grandes conséquence immédiates, finit par apporter un changement majeur à la construction. Il est la combinaison dans un même édifice de l’arc brisé, de la voûte sur croisée d’ogive, d’un mur mince et de l’arc boutant. De manière générale, quand on pense à la différence la plus visible avec le roman, c’est la différence de taille, on a un changement d’échelle.
Dans le 1erépisode, le personnage de Tom est présenté comme un bâtisseur en avance sur son temps, un visionnaire. Il développe déjà en lui et autour de lui les « grands principes » du gothique : l’entrée de lumière dans l’édifice et la grande élévation, la hauteur. Cela correspond à un passage où la famille de Tom est dans la forêt, le bâtisseur parle à sa femme, Agnès, d’une grande nef, d’une lumière divine, et la réalisation fait le reste en montrant des arbres immenses traversaient par la lumière du matin. Plus tard dans les épisodes, Jack va suivre les rêves de son père adoptif, et apprendre comment les réaliser, notamment lorsqu’il travaille sur plusieurs chantiers en France. Et en particulier, sur celui de l’abbaye de Saint-Denis, le lieu d’apparition du nouvel art gothique.
À la superbe séquence finale de la série, on a plusieurs plans larges sur la cathédrale achevée. Si l’on fait un rapide point sur cette séquence, c’est qu’elle nous présente une cathédrale entièrement blanche, alors qu’en réalité on avait une polychromie, les cathédrales étaient peintes à l’intérieur (les chapiteaux, les murs) comme à l’extérieur (sur le portail, la façade, les sculptures…etc).
Le second problème ici, c’est qu’il y a une erreur chronologique. La série indique que nous sommes en 1170, la cathédrale de Kingsbridge est terminée, sauf que l’influence du gothique n’arrive en Angleterre qu’à partir de cette décennie. Les premiers chantiers gothiques à adopter le nouveau style commence en 1175 avec le chantier de la cathédrale de Worcester, en 1180 pour celle de Wells. On remarque d’ailleurs que cette cathédrale de Wells a du inspirée les créateurs de la série, comme celle de Salisbury, elle aussi construite plus tard que la période dépeint par Les Piliers de la Terre, au XIIIe siècle.
L’Angleterre s’ouvre au gothique, mais en l’adaptant à ses traditions, ce que l’on appelle aujourd’hui le premier gothique anglais. La principale différence est qu’en Angleterre on construit sur un plan horizontal avec des nefs et des chœurs tout en longueur, tandis que pour le premier gothique autour de Paris on construit sur un plan plus vertical, beaucoup plus haut. La majorité des cathédrales anglaises ont des voûtes allant de 20 à 26 mètres de haut, tandis qu’en France Notre Dame de Paris est à 33m, et les plus élevées comme Beauvais ou Amiens dépassent les 40m sous voûte. La série a beau montré la spécificité anglaise en représentant dans son épisode final une cathédrale du premier gothique anglais, dans les discours c’est plutôt les formes présentes en France que les personnages de Tom et Jack décrivent, en ne parlant que d’élévation et que de hauteur.
La naissance d’une cathédrale transposée à l’écran
Dans l’Épisode 2, Tom trace sur des panneaux de bois avec de la chaux et du charbon de bois, les premiers plans de la cathédrale, la scène est bien reconstituée. Tom sort les outils que l’on retrouve dans l’iconographie médiévale pour désigner le maître d’œuvre : l’équerre et le compas. Il va ensuite présenter le projet architectural au prieur pour lui montrer comment il souhaite procéder. Ce qui est très intéressant ici, c’est de présenter à l’écran un échange que nous n’avons que rarement dans nos sources, voire pas du tout : celle entre le maître d’œuvre et le commanditaire à la naissance du projet. La cathédrale aura un plafond en bois, car le voûtement en pierre est trop lourd selon Tom, mais l’édifice sera beaucoup plus haut que le précédent. Tout ce poids sera porté par des croisée d’ogives. Est-ce possible ? Non, parce que le maître d’œuvre nous dit qu’il n’y aura pas de voûte en pierre, alors que la croisée d’ogives, c’est justement une voûte en pierre. Ce contresens persiste dans l’épisode 5où Alfred montre à son père qu’il peut faire une voûte sur croisée d’ogives, mais Tom lui dit que c’est impossible, ce qui entre en contradiction avec à la fois ce qu’il dit au début de la série, mais aussi avec l’environnement architectural anglais du XIIe siècle qui connaît cette technique et l’utilise dans ses cathédrales romanes. On observe dans la série de nombreux termes techniques utilisées dont on remarque à plusieurs reprises l’incohérence.
Le passage d’un style à l’autre
L’incendie au Moyen Âge
Il est important de rappeler qu’il y a une coexistence de l’art roman et de l’art gothique pendant au moins cinquante ans. Ces deux styles vivent parallèlement au gré des choix de goûts régionaux ou personnels des commanditaires au cours de la deuxième moitié du XIIe siècle.
Dans la série, à l’Épisode 2,l’incendie de la cathédrale romane de Kingsbridge rappelle nombre de ceux qui se sont produits au Moyen Âge, comme celui de la cathédrale de Canterbury en 1175 qui a également engendré des travaux de reconstruction, notamment dirigé par le maître d’œuvre français Guillaume de Sens.
On remarque des coïncidences entre les périodes de reconstructions et les incendies, mais il faut garder à l’esprit qu’on connaît très mal leur étendu. L’idée reçu quand on parle d’incendie, c’est la destruction totale de l’édifice, alors qu’il pouvait être localisé à une seule partie du bâtiment. Chez les médiévaux, il pouvait y avoir une tendance à exagérer l’incendie pour avoir un apport plus conséquent de financement et un prétexte de reconstruction.
Dans l’épisode 6 de la série, Alfred souhaite construire des voûtes en pierre à la place du plafond en bois, devant la réticence du prieur Philip, il utilise comme argument la prévention contre de futurs incendies. Les voûtes en pierre donnaient une protection supplémentaire à la structure de la cathédrale lors des incendies en circonscrivant leur propagation à la charpente et au toit. C’est en partie ce que l’on a pu voir avec l’incendie de ND. Sur les plans en drone, on apercevait bien les différentes voûtes sur croisées d’ogives intactes, sur lesquelles reposaient les cendres et débris de la charpente dévorée par les flammes, la seule voûte effondrée de l’édifice étant dû à la chute de la flèche de Viollet-le-Duc. Si l’on revient à l’époque qui nous intéresse, la présence de voûte permettait aussi de construire des murs plus haut et d’avoir une largeur plus importante de la cathédrale. Notons seulement que dans cette séquence, les voûtes en pierre apparaissent comme une nouveauté alors que le voûtement est connu depuis l’Antiquité tardive.
Les effondrements des édifices
Outre l’incendie, la série nous montre aussi les accidents possibles lors d’une telle construction. Toujours dans l’épisode 6, le prieur Philip ayant accepté sa proposition, Alfred fait installer les voûtes juste à temps avant la nouvelle visite du roi Stephen accompagné de Waleran Bigod et la famille Hamleigh. Malheureusement, la voûte s’effondre et tue 79 personnes. Ce type d’effondrement est bien arrivé au Moyen Âge, par exempleà la cathédrale de Beauvais qui le 28 novembre 1284 voit s’effondrer une partie de ses voûtes. Un siècle après la construction de l’abbatiale Saint Denispar Suger, vers 1230, le chevet menace de s’effondrer. En 1217, à Auxerre on a détruit l’ancien chœur, les tours qui le flanquaient montrent des signes de faiblesses et finissent par s’effondrer sans blesser personne.
Une architecture dans la continuité antique
La redécouverte des savoirs
Dans l’épisode 7, on suit Jack sur le chantier de l’abbatiale Saint Denis, où il est sculpteur. Il y rencontre le commanditaire de l’édifice, l’abbé Suger, et lui explique qu’il souhaite apprendre les techniques employées sur ce chantier. Jack l’interroge sur la hauteur des murs « comment supportent-ils le poids ? ». L’abbé lui parle alors d’Euclide et de ses textes, mais Jack n’en a aucune connaissance. Suger souligne alors qu’il ne connaît rien. Au final, Jack va pouvoir lire le manuscrit que détient l’abbé. On voit là, une autre preuve, du travail de recherche réalisé par les équipes de scénaristes et de la production de la série. Euclide est un mathématicien grec qui aurait vécu au IIIe siècle avant J.C. Au cours de sa vie, il écrit ou fait écrire une vaste synthèse des mathématiques appelée « Éléments ». Son œuvre comprend 13 livres dont les quatre premiers livres sont consacrés à la géométrie plane et étudient les propriétés fondamentales des figures polygonales et circulaires : ce que l’on appelle la géométrie euclidienne. C’est sans doute ces quatre premiers livres qui sont représentés ici dans la série. Il est très intéressant de mettre à l’écran ce traité, car à cette époque on assiste à une importante diffusion des textes antiques de mathématiques et de géométrie, grâce notamment aux multiples échanges avec les arabo-musulman qui permettent de redécouvrir les savoirs antiques.
On peut également ajouter que les textes médiévaux conservés à propos de l’abbatiale Saint-Denis, montrent qu’a cette époque on n’avait aucune conscience d’être en train de fonder un style architectural nouveau à l’époque. Des mots de l’abbé, on comprend que ce qu’il souhaite par-dessus tout, c’est bâtir au plus proche et semblable possible des architectures antiques.
Thème 2 – La gestion et le financement d’un chantier cathédral
L’argent des cathédrales
La situation dans la série
Dans l’Épisode 3, Philip fait réunir les moines pour expliquer la manière dont ils vont financer la construction de la cathédrale. Louage de terre les plus lointaines, élevage de mouton s’améliore. Il souhaite développer un marché pour augmenter les revenus. Ils ont aussi une relique, le crâne de Saint Adolphus et une statue doit être réalisée par Jack à cette occasion. On peut déjà dire que, les informations données par le prieur sur les ressources du monastère correspondent au paysage anglais du XIIe siècle. Principalement une région d’élevage, dont les plus grands troupeaux de brebis appartiennent aux abbayes cisterciennes (Fountains, Rielvaux, Byland et Furness). Cependant, la seule mise en fermage des terres lointaines du prieuré et la vente de la laine des moutons sont deux ressources qui paraissent insuffisante pour bâtir une cathédrale. La construction d’une cathédrale par un évêque et son chapitre soulevait des montants considérables et pouvait apparaître comme un gouffre financier.L'apport de fonds est central pour matérialiser un projet d'édification.Le financement d’un chantier peut changer selon la nature de l’édifice à construire, en fonction de son commanditaire, mais aussi être influencé par l’économie des villes et régions dans lequel il est implanté.
Un chantier avec une direction financière
Les chantiers de construction sont menés à la fois par une direction financièreet une direction technique. La direction financière est occupée par ce que l’on appelle un maître d’ouvrage qui correspond au commanditaire, cette place est bien représentée dans la série par le prieur Philip. Sa fonction est d'administrer les finances des travaux, d'effectuer les dépenses à destination des achats de matériaux nécessaires aux constructeurs et d'assurer leurs divers paiements ce qui à plusieurs reprises, est bien montré dans la série.
Au cours de la grande vague de construction des XIIeet XIIIesiècles, dans la majorité des cas, évêques, abbés et chanoines apparaissent comme les maîtres d'ouvrage les plus représentés.Même si auMoyen Âge, la figure du maître d'ouvrage peut prendre plusieurs formes selon les constructions envisagées (peut faire partie des seigneurs ruraux, des propriétaires fonciers, de la bourgeoisie urbaine, apparaître comme un officier royal ou seigneurial, voire correspondre à une communauté municipale).
Les ressources possibles
Les chantiers médiévaux vivent au rythme des saisons, mais ils vivent également au rythme de l'argent. Pour un projet de cette envergure, le financement s’appuyait en partie sur les revenus du diocèse et l’évêque pouvait également puiser dans ses fonds propres, ce qui n’est pas le cas pour la cathédrale de Kingsbridge. 1 = ce n’est pas la cathédrale de l’évêque, mais d’un prieuré, petite incohérence ici, 2 = l’évêque en place à partir du début du chantier fait tout pour l’arrêter, au profit de la construction de son propre palais, qu’il ne construit pas au final, puisque Waleran finit archevêque de Canterbury dont le palais est déjà construit.
Dans tous les cas, même si le chantier de Kingsbridge avait ce type de fond, des ressources supplémentaires seraient nécessaire pour construire la cathédrale. À l’époque médiévale, les administrateurs du chantier peuvent aussi faire un appel aux dons, particulièrement destiné aux puissants (ducs, princes, rois…). Des confréries composées de membres aisées, clercs ou laïcs, fondées et placées sous le patronage d’un saint se développent pour participer à l’œuvre. Des confréries de métiers peuvent aussi prendre part au coût de la cathédrale. Dans la série, on voit aussi l’importance de posséder une relique, avec le crâne de Saint Adolphus, dont la statue est fabriquée par Jack. Cela permet de présenter la relique aux fidèles, présentation à laquelle on associe des quêtes. Pour financer la cathédrale, on compte sur les dons et legs testamentaire. Les personnes voulant s’assurer de bénéficier de messes et de prières pouvaient léguer des terres ou de l’argent, tout au moins une partie, à la construction de l’édifice à venir.
Pour assurer le bon fonctionnement d’un chantier aussi important que celui d’une cathédrale, et notamment celle de Kingsbridge, la direction financière dont nous avons parlé doit mettre en place certaines structures, qui ne sont pas représentées dans la série. Dans le domaine religieux, la nécessité de réunir et gérer les ressources considérables nécessaires à de tel travaux, entraîne la création de « fabriques ». En règle générale, mais pas dans Les Piliers de la Terre, lorsqu’il s’agit de construire une cathédrale, la fabrique est sous la dépendance du chapitre et ses chanoines et, dans une moindre mesure, de l’évêque et parfois de laïcs.
Thème 3 – La réception du chantier médiéval par la série
Le chantier par excellence
Le chantier cathédral est tellement emblématique que l’image de la cathédrale à éclipser celle du palais, de la grande demeure, du château, du monastère. La cathédrale évoque à elle seule, aux yeux d’un large public, les derniers siècles du MA. Elle est la construction médiévale par excellence. La raison de cette position est que l’histoire de l'architecture s’est très longtemps limitée à l’analyse des constructions monumentales en pierre, dont les cathédrales sont les principaux vestiges. L’attention des chercheurs s’est donc focalisée sur les gros chantiers, les comptabilités des grandes constructions étant des sources majeures, par les séries de prix et de salaires qu’elles livrent, de l’histoire économique du Moyen Âge. Cependant, même si la série Les Piliers de la Terremet encore en lumière la construction monumentale, la série a eu la bonne idée de mettre également à l’écran une pluralité de chantiers.
La pluralité des chantiers à l’écran
Parmi ceux qu’on retrouve au Moyen Âge, on a le chantier religieux, avec celui de la cathédrale de Kingsbridge, mais aussi l’entretien du monastère. Puis le chantier public ou civil, dans le septième épisode, Kingsbridge est sur le point de se faire attaquer par William Hamleigh et ses hommes, on assiste alors à la construction d’une fortification urbaine, certes sommaires, mais qui n’est pas sans rappeler les épisodes militaires dans lesquels la population est parfois mobilisée pour creuser des fossés ou pour aider les artisans en charge des enceintes ou château. Le chantier de la demeure de ce même William Hamleigh, dans le premier épisode le renforcement et la réparation d’une porte au château du Comte de Shiring, ou encore les nombreuses occurrences du chantier du palais de l’évêque Waleran, au fil de la série manifeste également la présence de construction seigneuriale et épiscopale.
La construction d’une cathédrale
Son organisation
Dans l’Episode 1, il y a une phrase que prononce Alfred et que je trouve très intéressante : « Un chantier négligé nuit à la construction ». Aujourd’hui ou il y a 800 ans, c’est la même chose. Les chantiers médiévaux ont une direction technique qui est assurée par un maître d’œuvre. Ce personnage garantit la conception et la construction des édifices demandés. Tom apparaît bien dans cette fonction sur le chantier, à partir de l’épisode 2« Master Builder». Un des traits intéressant de la série est qu’elle a donné de l’intérêt à la figure centrale du chantier qu’est le maître d’œuvre, en en faisant un des personnages clés de son histoire : Tom mais aussi Jack.
Le personnage du maître d’œuvre a longtemps été confondu avec celui de l’architecte, parce que ce terme possède une ambiguïté à l’époque médiévale.Architectus, architector est souvent employé pour nommer le maître d’ouvrage, le commanditaire du chantier. Même si nous avons conservés des noms de certains maîtres d’œuvre, le plus souvent ces derniers s’effacent derrière le commanditaire.
La notion moderne de l'architecte renvoie à une personne qui dresse le plan de l'édifice à construire, met en place le projet, mais qui se tient à l’écart du chantier, alors qu’au Moyen Âge, le magister operisy est lui très attaché.
Quand bien même les rôles de ces maîtres d’œuvre ont pu évoluer et varier selon les lieux et les maîtres d'ouvrages, il apparaît que les fonctions de directive et de conduite des travaux se substituent à un travail de création des devis et à l'inspection des chantiers à partir du XIVesiècle. Cette évolution libère le maître d’œuvre de ses activités de bâtisseur en rendant possible la communication d'instructions assez précises. Ces instructions sont transmises à des personnes pour les faire exécuter, personnes qui sont désignées sous des noms différents selon les régions comme les « sous-maîtres » (submagister) en Angleterre et les « parliers » dans les pays germaniques. Malgré cela, l'architecte reste une figure encore très rare à la fin du Moyen Âge, c'est pourquoi on lui préfère la dénomination de maître d’œuvre pour indiquer la personne élaborant et dirigeant les travaux. Une appellation qui est à la fois plus large et moins anachronique.
Le personnage de Tom Builder possède ce double visage du maître d’œuvre, à la fois concepteur de l’édifice, dirigeant, mais aussi bâtisseurs sur le chantier. Lui, Alfred et Jack, se succèdent dans cette fonction et paraissent seuls aux commandes de la direction technique du chantier de la cathédrale de Kingsbrige. Les recherches récentes nous laissent penser qu’il devait y avoir plusieurs maîtres d’œuvre sur les chantiers des cathédrales : maître d’œuvre de maçonnerie ou maître d’œuvre de la charpenterie. Cette conception collégiale des ouvrages n’apparaît que très rarement dans la série, même si nous assistons à des réunions de chantier, seul le maître d’œuvre parle et ne fait que délivrer sa pensée et sa volonté, comme dans le dernier épisode avec Jack.
Un laboratoire à ciel ouvert
Dans le troisième épisode, le frère Remigius essaie de faire douter le prieur Philip, pour lui le chantier n’est pas un laboratoire. En réalité c’est bien tout le contraire. La course à la hauteur engendrée par le développement du gothique multiplie les expériences faites sur les chantiers. Les hauteurs qu’ils atteignent n’ont jamais été atteinte auparavant, on assiste à un foisonnement d’expériences tant sur le plan technique qu’esthétique, c’est un lieu d’innovations. Les grands chantiers médiévaux sont à la pointe du progrès, tant en matière économique et sociale que technologique.
Les étapes de construction, les techniques, les matériaux et les métiers dans la série
(Série entière) La série montre bien l’évolution du chantier au fil des années. Les étapes de construction qu’on attend pour l’ensemble d’une cathédrale sont plutôt bien respectées. À la fin du deuxième épisode, on a une très belle scène qui représente l’implantation du bâtiment sur le terrain, c’est-à-dire la transposition de la position de l’édifice sur le terrain, viennent ensuite les fondations dans le troisième épisode. Puis on démarre la construction par le chœur, après le transept, et on finit par la nef, travée par travéejusqu’au massif occidentale. À chaque étape on ferme la partie terminée par des grands panneaux en bois pour que le culte puisse être réalisé. Tout cela est assez bien représentées dans la série.
La représentation des matériaux utilisés pour construire la cathédrale dans la série est elle aussi un point positif. Les matériaux de l’ancienne cathédrale sont marqués, stockés, puis réemployés plus tard dans la nouvelle construction, comme on le voit sur un grand nombre des chantiers de l’époque. Les pierres arrivaient souvent sur le chantier précalibrées, dégrossies en carrière aux dimensions de leur format définitif – conformément aux indications données par les devis ou par les maîtres maçons. Cette standardisation de la production de pierre est aussi très bien représentée par la série.
Autre point positif, les séquences dans les carrières qui nous montre un chantier qui s’étend bien au-delà du lieu de construction. L’édification d’un monument conduit à un grand nombre d’activités annexes : l’exploitation des carrières, des forêts, des mines, le transport des matériaux, le contrôle de leur qualité, l’aménagement nécessaire à leur réception, le recrutement de la main d’œuvre.
Concernant l’effectif des chantiers, la série des Piliers de la Terre nous représente un nombre indéfini de personnes, mélangeant indifféremment moines, artisans, manœuvres avec au sommet le maître de l’œuvre. Cette représentation d’un chantier avec de très nombreuses personnes au travail ne doit pas être pensé comme la seule possible, comme le fait qu’un gros effectif n’est pas forcément le signe d’un chantier en meilleure santé qu’un autre. Le nombre d’ouvriers sur les chantiers médiévaux n’est pas toujours proportionnel à l’ampleur de l’ouvrage. Certains travaux, souvent très étalés dans le temps, ont des effectifs faibles affecté à leur réalisation.
Lorsque Tom parle dans les premiers épisodes de 30 maçons pour construire la cathédrale, chacun d’eux étant un chef d’équipe regroupant des valets (des apprentis qui ont fini leur apprentissage mais qui ne sont pas encore maître), des apprentis et des manœuvres, on arrive vite à un chantier avec plusieurs centaines de protagonistes, sans compter les autres métiers : charpentiers, tailleurs de pierre, forgerons, mortelliers, couvreurs, chaufourniers, cordiers, carriers, charretiers… etc.
Une représentation des femmes dans le bâtiment
Dans la famille de Tom, les femmes sont aussi embauchées sur les chantiers. La série montre à plusieurs reprises des femmes travailler, dès le premier épisode et dès les premiers plans sur la famille de bâtisseurs. La plupart du temps, elles sont présentées en tant que mortellières, c’est-à-dire qu’elles font le mortier. Au Moyen Âge, ce n’est pas un travail exclusivement féminin, des hommes le font aussi. Parfois, elles apparaissent également comme cordières.
Longtemps dans l’historiographie, la présence des femmes dans l’industrie du bâtiment a été considérée comme exceptionnelle, ou ignorée, mais des études récentes ont montré que ce n’était pas justifiée. Elles apparaissent sous différente forme : en participant à la confrérie professionnelle, dans le commerce et la production des matériaux ou encore à travers leurs activités sur les chantiers.
Dans la série, on a aussi un personnage fémininfort en la personne d’Aliena (Hayley Atwell), elle n’est pas dans un métier de la construction. Alors qu’elle se retrouve dans une extrême pauvreté avec son frère au début de la série, elle devient une entrepreneuse dans le commerce de laine.
Les rémunérations du travail
Dans le 1er ép, Jack propose à Tom de travailler gratuitement, ce que Tom va accepter pour rester auprès de son fils. En réalité, au MA les ouvriers des cathédrales sont toujours payés. Pour un maître du niveau de Tom Builder, travailler gratuitement serait impensable, même si c’est une cathédrale. Et c’est bien pour cette raison qu’il précise au prieur Philip, qu’il devra le payer plus tard. Sur les chantiers religieux, il existait aussi de pieux bénévolesqui venaient œuvrer gratuitement. Cependant c’était une minorité et ils procédaient à des tâches très simples (déplacer des gravats, les trier… etc.).
On rencontre trois façons de rémunérer le travail des artisans. Très répandues au Moyen Âge, nous avons d’abord le salaire à la journée qui oblige une tenue très rigoureuse des comptabilités du chantier. Ensuite, les médiévaux pouvaient être rémunéré à la tâche. Dans ce cas-là, l’artisan ou l’ouvrier amenait ses propres outils, le maître d’ouvrage n’avaient ni à les fournir ni à les réparer, ce qui se révélaient plus intéressant pour lui, cependant leur réparation pouvait être effectué s’il s’agissait d’une tâche de longue durée.
Une personne rémunérée à la tâche souhaitait la réaliser rapidement afin de passer à une autre mission. Pour garantir la qualité du travail, les fabriques des cathédrales contrôlent les opérations réalisées et privilégient les artisans envers qui elles ont confiance ou de bonne réputation. Les maîtres d’œuvre pouvaient assumer ce rôle, mais ils n’étaient pas les seuls à pouvoir intervenir pour le contrôle de malfaçon, d’accidents, de fragilités de structures ou d’estimation pour des opérations futures. Enfin, il existait aussi la rémunération que l’on appelle à prix-fait. Un prix-fait est un prix fixé à l’avance par un entrepreneur à son commanditaire pour une activité désignée. Avant d’être signé, ce prix-fait pouvait être négocié entre les partis. Cette rétribution prenait la forme d’un salaire à la tâche dans lequel la main-d’œuvre, les matériaux et parfois le port étaient inclus.
Sur le chantier de construction on va payer le maître, et c’est lui qui va payer l’équipe qu’il a recruté ou amené avec lui sur le site. C’est bien adapté à l’écran notamment lors de l’arrêt du chantier des Hamleigh. On comprend que Tom paye lui-même ses ouvriers après avoir été payé par le commanditaire de l’édifice. Cependant, le commanditaire représenté par William, vu l’échelle de ce chantier, ne pourrait pas renvoyer ces hommes et ces femmes d’un revers de main. Il y aurait sans doute un prix-fait avec des conditions pris à l’avance, un contrat passé devant notaire.
Thème 4 – Une reconstitution à la hauteur de la Saga ?
La crédibilité du chantier
Les décors et les accessoires
Dans l’épisode 3, on est immergé dans le chantier avec un plan large sur le site où les ouvriers s’activent. On voit des manœuvres, des charpentiers qui fabriquent les machines de levage, on remarque des engins en place au sol, parfois aussi à des endroits impossibles. Il faut bien souligner que les décorateurs de la série ont fait l’effort d’analyser des enluminures médiévales, mais ils ont pris ces représentations pour argent comptant. Les enluminures doivent toujours faire l’objet d’une critique serrée, d’autant plus que la plupart des représentations des chantiers des cathédrales sont réalisées au XVe siècle, soit à une époque où le temps des grandes cathédrales est déjà terminée.
Les machines
De fait, certaines des machines fabriquées pour l’occasion par les techniciens de la série ne pourraient pas fonctionner, parfois elles n’ont pas la bonne taille ou il manque des pièces. Malgré tout cela, l’immersion est totale, on fait complètement entrer le spectateur dans la dynamique et l’effervescence d’un chantier médiéval.
Les piliers de la terre VS Les costumes XIIe siècle
Une analyse générale
Sans rentrer dans les détails du costume anglais du 2e XIIe, je vais me référer au costume européen de cette époque qui est assez uniforme quand même.
La série, comme la grande majorité des films sur la période, joue avec des présupposés que le public possède déjà sur le moyen âge et avec des vêtements qui "font" médiévaux. Typiquement, l'utilisation de lacets dans beaucoup de vêtements symbolise une époque ancienne car nous n'en portons plus du tout aujourd'hui. Pourtant il n'y en avait pas au XIIe siècle. De même pour les accessoires en cuir qui sont beaucoup trop répandus à l'écran.
Les hommes de guerre sont représentés dans des tenues sombres, avec des plastrons à l'antique, mais c'est une vision des choses très romantique et en rien réaliste. Les nobles et les combattants affichaient leur statut grâce à la couleur de leurs vêtements et de leurs équipements.
Les tenues de femmes quant à elles s'inspirent largement du costume de la fin du moyen âge, avec des décolletés laissant dévoiler la chemise, des manches évasées et de nombreux lacets. Là encore le fantasme est à l’œuvre. A l’inverse de cela, la femme du XIIe siècle ne dévoile pas sa chemise en public, seules ses mains et son visage sont nus, et ses cheveux sont voilés lorsqu’elle est mariée.
La mode vestimentaire du XIIe siècle n'est pas représentatif du moyen âge que les gens ont en tête, c'est pourquoi beaucoup de films utilisent des costumes bien plus proches de la vision générale que de la réalité.
D'autant que la réalité du costume de cette époque est bien difficile à appréhender faute de représentations iconographiques très détaillées.
Ce qui saute aux yeux
Il n'y a que des couleurs fades. Quelques aristocrates portent de la couleur mais elle est bien loin de ce qu'elle aurait vraiment été au 12e.
Les tenues des hommes sont souvent trop courtes, elles doivent atteindre les genoux et avoir de l'amplitude.
Les chemises et robes à lacets n'existaient pas.
Tous les acteurs portent des pantalons récents dans des tons gris et noirs alors que les chausses étaient colorées, d'autant plus chez les riches.
Les personnages dirigeant le chantier sont miséreux, avec des habits qui partent en lambeaux. La tenue de travail devait certes être usée comme pour un travailleur actuel. Mais ces personnes-là pouvaient se permettre de porter de la couleur et d'avoir des vêtements propres et colorés pour leurs occupations quotidiennes en dehors du chantier.
Les bons points
Les religieux portent la tonsure (compliqué pour un acteur d’avoir du charisme à l’heure actuelle avec une telle coiffure). Par moment, il y a des fulgurances, de très bons points qui montrent que les scénaristes ont essayés d’aller plus loin dans leur recherche : par exemple les mesures prises par jack au château de Shiring, sa confection du cintre en bois afin de rebâtir l’arc en pierre dans l’Épisode 1, la présentation du projet de cathédrale par Tom à Philip, les épures sur les panneaux de chaux dans l’Épisode 2.
Pourquoi ces erreurs ?
Une vision tirée de l’imaginaire de la production
Lors de la prod et du tournage du film, la personne chargée de vérifier les costumes était le réalisateur qui voulait transporter le public au XIIe siècle comme il l’avait été dans le livre, donc dans son propre imaginaire. D’après lui, ils ont fait beaucoup de recherche sur un temps très court, et sur des sujets que les historiens passent leur vie à étudier, mais ils n’ont quand même pas eu l’idée d’en inviter au moins un seul. Le seule consultant désigné par la production est Ken Follett.
Le costumier s’est procuré des costumes dans plusieurs pays européens (Italie, France, RU), mais va aller jusqu’au Canada… et va aussi en fabriquer pour la série, sur quelles bases ? Aucune, tout simplement sa propre imagination de ce qu’est pour lui le MA. On observe également à plusieurs moments de la série le réemploi de costumes du film Kingdom of Heaven. Le réalisateur voulait que grâce à ces costumes, les personnages aient l’air réel.
L’absence de consultant historique
On a dans cette série une absence de consultant, c’est l’inverse du film Au nom de la Rose, où Jacques Le Goff (même si JLG ne voulait plus apparaître dans le générique de fin) était consultant et avait avec lui 8 autres spécialistes. La conséquence est que, selon les mots du réalisateur : lorsqu’il manquait quelque chose, il se mettait simplementà la place des personnages et essayaient de comprendre comment ils avaient fait avec les technologies de l’époque. Cela complique un peu la création d’une série sensée être historique.
Conclusion
Même s’il y a parfois des facilités, c’est une représentation très correcte du chantier cathédral. Il y a des petits faux pas, mais surtout de très bonnes idées. Les piliers de la Terre reste une série de très grande qualité, portée par de grands acteurs (je pense à Ian Mcshane), par une musique extraordinaire (composé par Trevor Morris), et le côté immersif est très prenant. Je trouve que le message donné par la série à la fin du dernier épisode, le fait que la cathédrale n’est pas finie et ne le sera jamais, la notion de chantier permanent, est très intéressant. En fin de compte, tout cela fait que cette Saga, cette série reste culte et est à voir ou à revoir.
Bibliographie indicative :
Patrice Beck, Philippe Bernardi et Laurent Feller, Rémunérer le travail au Moyen âge : pour une histoire sociale du salariat, A. et J, Picard, Paris 2014.
Philippe Bernardi,Bâtir au Moyen Age :Paris, CNRS, 2011.
Sophie CASSAGNES-BROUQUET, Histoire de l’Angleterre médiévale, Éditions Ophrys, Gap, 2000.
Pierre Du Colombier, Les chantiers des cathédrales : d’après les trésoriers, les architectes, les maçons, les sculpteurs, les textes, les miniatures, les vitraux, les sculptures, Paris, éditions A. et J. Picard et Cie, 1953.
Alain Erlande-Brandenburg, La cathédrale, Paris, Fayard, 1989.
Alain Erlande-Brandenburg, Quand les cathédrales étaient peintes, Paris, Gallimard, 1993.
Henry Kraus,L’argent des cathédrales, Éditions du Cerf ; CNRS éditions., Paris, 2012.
Alain Salamagne,Construire au Moyen Age : les chantiers de fortification de Douai, Villeneuve-d’Ascq (Nord), Presse universitaire du Septentrion, 2001.
Arnaud Timbert (Dir.) et al., Qu’est-ce que l’architecture gothique ? Essais, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2018.
Sandrine Victor, La construction et les métiers de la construction à Gérone au XVesiècle, CNRS-Université de Toulouse-Le Mirail., Toulouse, 2008.