épisodes août 2021
125 The Good Lord Bird avec Julie Assouly
126 TRUE DETECTIVE avec Marie Demars
127 THE CORNER avec Pierre Cras
128 LE BUREAU DES LEGENDES avec Thibaut de Saint-Maurice
129 IT'S A SIN avec Perrine Quennesson
130 GLEE avec Marine Boyer
125 The good lord bird
avec Julie ASSOULY

Julie ASSOULY
Je suis Maître de Conférences en cinéma et civilisation des États-Unis au département d’anglais de l’Université d’Artois à Arras. J’enseigne l’histoire des États-Unis en anglais à des étudiants de Licence, Master, Capes et Agrégation, ainsi que l’histoire du cinéma et l’adaptation filmique. Ma thèse, publiée sous le titre L’Amérique des frères Coen (CNRS éditions [2012], 2015) portait sur la représentation et la déconstruction des mythes américains dans les films des frères Coen, l’intertextualité et l’hybridité générique. Je travaille en ce moment sur leur adaptation de No Country For Old Men de Cormac McCarthy dans le cadre de l’Agrégation d’anglais (publication Ellipses Août 2021). Je travaille également sur le caractère transatlantique du cinéma de Wes Anderson (Wes Anderson, Cinéaste Transatlantlique, à paraître chez CNRS éditions à l’automne 2021). J’ai également écrit des articles sur Spielberg « Spielberg meets Rockwell : Nostalgia and the Celebration of America’s Heroic Past » (Presses Universitaires de la Méditerranée), les jeux d’argent « Gambling and women don’t mix”: Female Gamblers and the American Dream in Film » (Revue Angles en ligne) ou la destinée manifeste au cinéma « La Destinée Manifeste transcende les frontières de l’Amérique et des genres, du western au film de guerre » (revue Mélange de Science Religieuse). Je m’intéresse particulièrement aux représentations de l’histoire et de la société américaine au cinéma et dans les série avec une attention particulière au contexte de sortie des œuvres suivant la méthodologie de Richard Slotkin (en autres). Mon approche est trans et pluri-disciplinaire, comparatiste et intertextuelle.
résumé épisode 125
The Good Lord Bird (McBride 2013/Showtime, 2020)
Série (post)révisionniste et post-intersectionnelle ?
- Présentation de la série/introduction
Il s’agit de l’adaptation du roman éponyme de l’auteur afro-américain James McBride paru en 2013 et lauréat du prestigieux National Book Award. Le roman est organisé en trois parties correspondant aux trois grandes étapes des activités abolitionnistes de John Brown, prédicateur blanc excentrique et violent, déterminé à utiliser la force pour mettre un terme à l’esclavage. Lui et sa bande, incluant ses fils, sillonnent le Kansas, le Missouri, et la Virginie, où se situent les trois parties du roman elles-mêmes divisées en 32 chapitres. La mini-série créée par Ethan Hawk, qui interprète le rôle-titre, et Mark Richard, diffusée sur Showtime en octobre 2020, est quant à elle divisée en 7 épisodes de 45 minutes environ. Elle s’appuie sur le roman, mais comme pour la majorité des adaptations, les créateurs ont dû faire des choix qui vont immanquablement orienter cette nouvelle création artistique par rapport à l’œuvre originale. Il s’agit de maintenir un rythme, d’entretenir le suspense dans un format sériel (le traditionnel « cliffhanger » de fin d’épisode) et de réduire la longueur du récit tout en conservant son essence (d’abord l’histoire –la diégèse, bien sûr, mais également le style de l’auteur, les sous-entendus, l’implicite). La difficulté de transposer un roman en film ou série n’est pas tant de rester « fidèle » à l’œuvre originale que de parvenir à créer une nouvelle œuvre sans trahir l’essence de l’œuvre originale, ce que Walter Benjamin désignait par « l’aura » s’agissant des œuvres d’art. Une adaptation est une forme de « reproduction technique » du roman qui doit franchir l’étape intermédiaire de la réécriture scénaristique et la délicate transposition de l’écriture à une forme d’art multimédial, le cinéma ou ici la série. S’ajoute à cette difficulté le sujet traité. Il s’agit d’un épisode historique très connu des Américains, la révolte menée par John Brown, un abolitionniste blanc, au côté d’activistes blanc et afro-américains, dans le but de mettre un terme à l’esclavage au niveau fédéral. Il est pour certain un héros, pour d’autre un illuminé, et reste un personnage controversé qui sera exécuté pour sédition en essayant de piller un arsenal militaire à Harpers Ferry (Va) en 1859.
Le roman était déjà une fiction historique dont le héros n’est pas Brown mais un personnage fictif, Henry Shackleford (Joshua Caleb Johnson) dit « Onion », jeune noir du Kansas contraint de se travestir en fille pour survivre aux violences raciales qui menacent sa vie après la mort de son père (par la faute de Brown). La fiction se superpose à l’histoire une première fois sous forme romanesque et une seconde fois sous forme filmique, épaississant le trait de la fiction historique en y ajoutant de la musique, des paysages, des dialectes et accents, des « gueules » d’acteurs et donc des sensations nouvelles sur la fiction et l’histoire d’origine. Ce palimpseste intermédial soulève de nombreuses questions, en premier lieu sur sa relecture de l’histoire américaine : que retient-on sur John Brown et de cette période de l’histoire américaine ? Ensuite sur la façon dont la fiction prend le pas sur l’histoire : quelle plu value apporte la fiction à travers le personnage atypique d’Onion, jeune, noir et travesti ? Enfin comment situer la démarche des créateurs et l’esthétique de l’œuvre dans l’histoire des séries (et du cinéma en fait), en particulier dans la tradition du western révisionniste ? Ici je conclurai sur la possibilité de considérer la série comme une variation du genre « southern-western » ou western sudiste qui va même au-delà du révisionnisme historique. Je parlerai ensuite de ce que dit ce genre de série de la société américaine contemporaine, en particulier de la nécessité de reconsidéré la place des Afro-Américains dans l’histoire des US. Les derniers événements montrent l’importance de ce sujet dans le débat public et attestent d’une certaine progression : l’élection de deux sénateurs démocrates en Géorgie par exemple (un noir et un Juif !) dans un état ultra-conservateur, ou la commémoration du massacre de Tulsa (1921) sur l’impulsion de Joe Biden et son administration.
Fil conducteur :
- Qui était vraiment John Brown et qu’en a fait la série ?
- Le « bleeding Kansas » dans l’histoire américaine et sa représentation dans la série
- « Onion » un personnage fictif au cœur de l’H/histoire
- Un débat sur l’ethnicité et le genre adapté à l’ère de me too et de BLM au-delà de l’intersectionalité ?
- Un « southern-western » (post)révisionniste
- L’épisode de la rencontre avec F Douglass à NY
- La représentation d’Harriet Tubman
- Dans les épisodes 6 et 7 pour l’esthétique du western révisionniste
Bibliographie sélective
Du Bois, W. E. John Brown : A Biography. M.E Sharpe, Inc., Armonk, New York: 1997.
Hughey, Matthew W, The White Savior Film: Content, Critics and Consumption. Philadelphia: Temple University Press, 2014.
Laughlin-Schultz, Bonnie. The Tie That Bound Us. The women of John Brown’s Family and the Legacy of Radical Abolitionaism. Ithaca and London : Cornell U. Press, 2013.
Lepers, Maureen, « The Good Lord Bird (Showtime, 2020) : actualiser le white savior », Transatlantica [En ligne], 2 | 2020, mis en ligne le 10 mars 2021, consulté le 05 juin 2021. [http://journals.openedition.org/transatlantica/16134]
McBRIDE, James. The Good Lord Bird. New York : Riverhead, 2013.
McTagart, Ursula, « Historical Fiction about John Brown and Male Identity in Radical Movements », African American Review 51.2 (Summer 2018) : 129-142.
Naughton, Gerald David, « Posthistorical fiction and postracial passing in James McBride’s The Good Lord Bird » , Critique : Studies in Contemporary Fiction, 59:3 (2018) : 346-354. [article portant sur le roman]
Sanchez, Tani Dianca, « Neo-abolitionists, colorblind epistemologies and black
politics: the Matrix trilogy », in Daniel Bernardi (ed.), The Persistence of Whiteness. Race and contemporary Hollywood cinema.London and N Y : Rutledge, 2008, 102-24.
Slotkin, Richard, Gunfighter Nation. The Myh of the Frontier in Twentieth-Century America. Norman : University of Oklahoma Press, 1992.
Taylor, Andrew and Elrid Herrington (Eds), The Afterlife of John Brown. New York : Palgrave-Macmillan, 2005.
Wallace, Carvell, « The Good Lord Bird Is Good TV. But Mix Art and Slavery at Your Peril. » The New York Times, jan.15, 2021.
126 True Detective (saison 1)
avec Marie DEMARS

Marie DEMARS
Marie Demars est chercheuse indépendante en civilisation américaine, avec un intérêt prononcé pour la sociologie des musiques populaires ainsi que pour l’histoire de la Louisiane. Ses travaux de doctorat ont porté sur les questions d’identité dans la musique zydeco, et ses différents séjours de recherche lui ont permis d’acquérir une connaissance intime des dynamiques sociales et économiques du sud de la Louisiane -dynamiques que l’on retrouve dans cette première saison de True Detective.
résumé épisode 126
RÉSUMÉ et PRÉSENTATION DE la SÉRIE :
True Detective (S1) est une série de Nic Pizzolatto et Cari Joji Fukanuga diffusée pour la première fois sur HBO en 2014 qui met en scène le duo d’acteurs Matthew McConaughey et Woody Harrelson pendant 8 épisodes d’une cinquantaine de minutes.
Pizzolatto est l’unique scénariste de la série, mais également le showrunner et le producteur exécutif. Avant de travailler pour la télévision, il a exercé comme enseignant à l’Université de Caroline du Nord-Chapel Hill et à l’Université de Chicago où il a enseigné la littérature et l’écriture créative. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages de fiction, parmi lesquels son premier roman, Galveston, paru en 2010 et lauréat du Prix du Premier Roman Etranger (adapté pour le cinéma par Mélanie Laurent en 2018). Avant True Detective, Pizzolatto a travaillé sur la série The Killing (AMC, 2011) pour laquelle il a écrit les 2 premiers épisodes de la saison 1.
Cary Joji Fukunaga est quant à lui réalisateur et producteur exécutif de la saison 1 de True Detective. Son travail sur la série lui valut l’Emmy Award de la meilleure direction pour l’épisode 4 « Who Goes There ». Fukunaga a aussi eu la lourde tâche de réaliser le prochain James Bond, No Time To Die.
L’action de True Detective (S1) se déroule dans le sud de la Louisiane en 1995 où l’on suit les inspecteurs Martin Hart (Woody Harrelson) et Rustin Cohle (Matthew McConaughey) dans leur enquête pour résoudre le meurtre de Dora Lange, une jeune prostituée dont le corps a été retrouvé nu, mutilé et mis en scène selon un rituel semble-t-il occulte. La série est construite autour du procédé de flashback, puisque les scènes d’enquêtes sont entrecoupées par des scènes d’interrogatoires de Hart et Cohle, situées elles en 2012, où l’on demande aux deux anciens inspecteurs de revenir en détail sur leur enquête de 1995. Le spectateur comprend alors vite que toute la vérité n’a sans doute pas été faite sur le meurtre de Dora Lange et que Hart et Cohle cachent peut-être quelque chose…
Cette première saison de True Detective a été unanimement saluée par la critique comme par le public : chaque épisode a en moyenne rassemblé près de 12 millions de téléspectateurs (diffusion initiale + replay et streaming), réalisant ainsi le meilleur démarrage pour une nouvelle série depuis Six Feet Under (2001). Les critiques les plus enthousiastes se sont portées sur la très grande qualité de l’écriture et de la réalisation ainsi que sur la performance particulièrement habitée de Matthew McConaughey, qui déploie ici les qualités de transformation physique devenues sa marque de fabrique (Dallas Buyers Club, Gold, The Beach Bum…). Mais ce qui a fait le succès de la série (du moins de la première saison) est surtout la richesse et la complexité des thèmes abordés qui font de True Detective une série policière singulière et particulièrement captivante qui dresse un portrait cru et sans concession de la société américaine.
Une série littéraire au carrefour des genres
Une série « anthologique »
Film noir, weird fiction et southern gothic : entre pessimisme et étrange
-Cohle et Hart : des personnages en crise
-Le personnage d’Errol Childress : le monstre et le labyrinthe
-L’incursion de l’étrange (Poe, Faulkner, Ligotti) et sa mise en image
Chambers, Lovecraft et le cosmic horror : une relecture du Yellow King et de Carcosa
-Pastoureau et la symbolique du jaune
L’inspiration des true crimes
-True Detective Magazine
-L’affaire de l’Eglise Hosanna, le « vrai » True Detective
Le sud de la Louisiane : altérité et décadence (decay)
The other within : éléments de contextualisation historique sur la singularité de la Louisiane
Une économie basée sur l’exploitation de la terre et des corps : esclavage et industrie pétrochimique (« King Cotton » et « Cancer Alley »)
Corruption/corrosion
-Les petroscapes de True Detective (Morton, Dark Ecology)
-Le générique (photos de Petrochemical America, Misrach)
-Les personnages de Cohle et Childress
Bibliographie selective :
Pizzolatto, Nic et Cary Joji Fukunaga, True Detective, HBO, 2014
Atkinson, Ted, « ‘Blood Petroleum’ : True Blood, The BP Oil Spill, and Fictions of Energy/Culture », Journal of American Studies vol.47, pp. 213-229
Brennan, Matt, « A Southerner’s Defense of Bayou Gothic ‘True Detective’ », IndieWire, 27 février 2014,https://www.indiewire.com/2014/02/a-southerners-defense-of-bayou-gothic-true-detective-193414/
Castillo Street, Susan (dir.), The Palgrave Handbook of the Southern Gothic, Palgrave McMillan, 2016
Clough, Edward, « ‘The Darkness Has a Lot More Territory’ : True Detective and Southern Desolation », communication présentée lors du congrès du Southern Studies in the UK Network (SSUKN), « Studying the South : Approaches and Orientations », University of Hertfordshire, 26 août 2017
Franks, Rachel, « A Fear of the Dark : Landscape As a Gothic Monster in HBO’s True Detective (2014), communication présentée lors du colloque « Inter-Disciplinary Net : 9th Global Conference on Fear, Horror and Terror », Septembre 2015
Kelly, Casey, « The Toxic Screen : Visions of Petrochemical America in HBO’s True Detective (2014) », Communication, Culture & Critique, 2016
Liénard, Marie, « Le gothique américain », Etudes, tome 408, pp. 789-798, 2008
Ligotti, Thomas, The Conspiracy Against the Human Race : A Contrivance of Horror, NY : Penguin and Random House, 2018
Lirette, Christopher, « Something True About Louisiana : HBO’s True Detective and the Petrochemical America Aesthetics », Southern Spaces, 13 août 2014, https://southernspaces.org/2014/something-true-about-louisiana-hbos-true-detective-and-petrochemical-america-aesthetic/
Lopes, Elisabete, « Trouble in the ‘Psychosphere’ : HBO’s True Detective As A Hybrid Genre », Tropos, vol.9, n°1 (2020)
Milazzo, Melissa, ‘Time Is a Flat Circle’. Examining True Detective, Season 1, Edwardsville : Sequart Organiztion, 2019
Misrach, Richard et Kate Orff, Petrochemical America, 2nde édition révisée, Aperture, 2014
Morton, Timothy, Dark Ecology : For a Logic of Future Coexistence, NY : Columbia University Press, 2016
Sepinwall, Allan, « ‘True Detective’ Creator Nick Pizzolatto Talks Season 1 », Uproxx, 9 mars 2104,https://uproxx.com/sepinwall/true-detective-creator-nic-pizzolatto-looks-back-on-season-1/
Sharma, Divya, « ‘True Detective’ As A Southern Gothic : A Study of Its Music-Lyric », International Journal of Cognitive and Language Sciences, vol.9, n°2 (2105), pp. 600-606
Suebsaeng, Asawin, « T Bone Burnett On How He Chooses Music For ‘True Detective’ », Mother Jones, 24 janvier 2014,https://www.motherjones.com/politics/2014/01/t-bone-burnett-true-detective-hbo-music-songs/
Toboni, Gianna, « Le vrai True Detective ? », Vice, 27 octobre 2014, https://www.vice.com/fr/article/4wz7xg/le-vrai-true-detective-852
127 THE CORNER
avec Pierre CRAS

Pierre CRAS
Pierre Cras est Maître de conférences à l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne ; il est historien de formation, Docteur en civilisation américaine et spécialiste d’études africaines-américaines et de cinéma. En 2016 il a soutenu une thèse intitulée « Archétypes, caricatures et stéréotypes noirs du cinéma d’animation américains (1907-1975) : de l’altérisation à la révolution » auprès de l’Université Paris III. Pierre Cras a publié récemment plusieurs articles issus de ses travaux de recherche dans la RFEA (Revue Française d’Études Américaines), la revue de la BNF ou ILCEA (Revue de l’Institut des langues et cultures d’Europe, Amérique, Afrique, Asie et Australie). Il travaille actuellement à une monographie sur le cinéma d’horreur américain qui analyse le genre sous un angle historique, politique et social.
Résumé épisode 127
Présentation de l’œuvre The Corner (2000)
Présentation des auteurs du livre (source originelle)
Présentation de la série The Corner (sorte de « prequel » de The Wire)
Découpage des 6 épisodes : expliquer ce choix
Format : vrai-faux documentaire, vrais individus : expliquer la reconstitution (théâtre de rue, hybridation formes de narration)
Présentation du contexte
Contexte économique et social pour les africains-américains
Aux États-Unis en général
A Baltimore en particulier
Contexte politique : 2 mandats successifs Bill Clinton : quels effets sur population noire U.S. ?
« Guerre contre la drogue »
Au niveau fédéral : expliquer les mesures-phares
Au niveau local : relations avec la police, conséquences par rapport aux institutions d’enfermement et judiciaires
Les personnages emblématiques de la série et leurs liens avec la drogue (junkies, dealers, en rémission) = tous une facette de la problématique
Quel statut de l’œuvre et analyse historique ?
Entre micro-histoire, macro-histoire et histoire locale : superposition des échelles d’analyse
Parallèle avec les travaux type « cinéma et histoire » (Marc Ferro) => statut de l’objet filmique (ou sériel) de la culture populaire (témoin, agent et source historique)
Conclusion
Bibliographie indicative :
BAUM, Howell S. Brown in Baltimore: School Desegregation and the Limits of Liberalism, Cornell University Press, 2010.
BURNS, Edward & SIMON, David. The Corner: A Year in the Life of an Inner-City Neighborhood, Broadway Books, 1997.
CRENSON, Matthew A. Baltimore: A Political History, Baltimore : Johns Hopkins University Press, 2017.
FERNANDEZ-KELLY, Patricia. The Hero's Fight: African Americans in West Baltimore and the Shadow of the State, Princeton University Press, 2016.
GOMEZ Marisela B. Race, Class, Power, and Organizing in East Baltimore: Rebuilding Abandoned Communities in America, Lexington Books, 2015.
MCKENNA, Bernard. The Baltimore Black Sox: A Negro Leagues History, 1913-1936, Jefferson : McFarland, 2020.
SIMON, David. Baltimore : Une année dans les rues meurtrières, Paris : Sonatine Éditions, 2012 [trad.fr.]
SIMON, David. Easy Money : La première enquête du créateur de The Wire, Paris : Inculte-Dernière Marge, 2018.
VEST, Jason P. The Wire, Deadwood, Homicide, and NYPD Blue: Violence is Power, Santa Barbara : Praeger Publishers Inc., 2010.
128 Le bureau des légendes
avec Thibaut de SAINT-MAURICE

Thibaut de Saint-Maurice
Thibaut de Saint Maurice est philosophe, chercheur à l’Université Panthéon-Sorbonne. Sa recherche porte sur les fictions sérielles et leurs enjeux esthétiques, politiques et moraux, au sein du projet européen DEMOSERIES ( www.demoseries.eu) financé par l’European Research Council (ERC)
Il a publié Philosophie en séries, saison 1 et 2 publiés en 2009 et 2010 et Des philosophes et des héros publié en 2019 aux éditions First. En 2020, il traduit et présente deux essais de la militante anarchiste et féministe américaine Emma Goldman, sous le titre De la liberté des femmes, aux éditions Payot.
En 2018, il fonde l’association Les Écouteurs et lance le Paris Podcast Festival, 1er festival dédié au podcast natif en France, dont la 4ème édition se tiendra à la Gaité Lyrique à Paris du 14 au 17 octobre 2021 (www.parispodcastfestival.com).
Depuis 7 ans, il a tenu plusieurs chroniques sur France Inter. A la rentrée 2020, il reprend sa chronique La petite philo de la vie quotidienne dans l’émission d’Ali Rebeihi Grand Bien Vous Fasse tous les vendredis vers 10h45.
Résumé épisode 128
Le pitch de la série/ – les personnages / la DGSE
Contexte :
Eric Rochant et le monde de l’espionnage
L’espionnage et les services de sécurité dans les séries
L’évolution de la série : la progression des saisons
La sécurité nationale : un métier ordinaire ?
La question du réalisme
Théâtres d’opération : la Syrie, l’Iran…La représentation du djihadisme vs. la non-représentation des attentats sur le territoire et le poids de l’Iran (saison 1-3)
La menace cyber et le retour de la Russie ( saison 4 et 5)
Questions de production : le rôle de la DGSE
Questions de réception : une série sur le renseignement pour quoi faire ?
Questions de réception : l’exportation de la série et les adaptations en cours…
Bibliographie indicative :
Trotignon Yves, Politique du secret, Regards sur Le Bureau des légendes, PUF 2018
Laugier Sandra, Nos vies en séries, L’éclat 2020
Blistène, Pauline. « Le secret comme ordinaire : Le Bureau des légendes et la modification du regard », A contrario, vol. 26, no. 1, 2018, pp. 115-133.
Blistène, Pauline. « Cinquante nuances d’espions », Inflexions, vol. 42, no. 3, 2019, pp. 113-120.
Blistène, Pauline. « Fictions du secret, secrets de la fiction », Inflexions, vol. 47, no. 2, 2021, pp. 133-140.
129 IT'S A SIN
avec Perrine Quennesson

Perrine Quennesson
Journaliste pour les magazines Cinémateaser, Le Film français, Première, Trois Couleurs, Illimité et le site Somewhere Else, Perrine Quennesson est lacréatrice du podcast 7e Science, coproduit par Sorbonne Université et Binge Audio. Par ailleurs, elle est chroniqueuse sur Canal+ dans l'émission Le Cercle Séries, collabore avec plusieurs festivals (Lumière, Champs Elysées Film Festival, Séries Mania...) ainsi qu'une plateforme de VàD (FilmoTV) et enseigne à l'ESEC.
Résumé épisode 129
-Présentation et résumé de la série
- L'Angleterre sous Margaret Tatcher dans les annés 1980.
- Une musique essentielle à la série
- Une photo très colorée.
- Le sida et son apparition dans les années 1980
- Plongée dans le milieu LGBT londonien dans les années 1980.
130 GLEE
avec Marine BOYER

Marine BOYER
Marine Boyer est professeure agrégée d’anglais. Elle enseigne en CPGE BL et ECG au lycée Montaigne à Bordeaux. Elle est membre jury de l’Agrégation Interne d’Anglais et s’intéresse particulièrement à la civilisation américaine.
Résumé épisode 130
PRESENTATION DE LA SERIE
GLEE : Une série diffusée sur la FOX de 2009 à 2015 (donc située et censée se dérouler dans l’ère Obama) et qui mélange des genres bien identifiés aux USA : la série qui se déroule dans un lycée et où l’on suit les tribulations sentimentales des élèves ainsi que des professeurs du lycée et la comédie musicale genre hollywoodien / américain par excellence dont on ne cesse d’annoncer la mort et qui renaît constamment de ses cendres, en témoigne le succès de La La Land. D’ailleurs, on peut penser que la série vient capitaliser sur le succès des films High School Musical produits par Disney à partir de 2006 et qui ont rencontré un franc succès auprès des adolescents américains. Le propos de Glee est tout de même largement moins édulcoré que ces films et s’adresse à un public différent avec des sujets de société traités de façon plus réalistes et notamment un accent porté sur les questions LGBTQ+.
La série a été enregistrée à Los Angeles mais l’action est située, tout au moins pour les 3 premières saisons à Lima dans l’Ohio, une petite ville qui existe réellement et qui est située au centre de cet état du Midwest, assez typique de la notion ‘small-town America’ : mentalité typique de la petite ville américaine. C’est un autre aspect important de la série où l’opposition Ohio / New York est un important moteur / ressort narratif. Le lycée au cœur de la série est nommé William McKinley, en l’honneur du président de la fin du 20ème siècle, natif de l’Ohio
Le titre ‘Glee’, mot qui signifie « joie » ou « allégresse » en anglais, fait référence aux Glee clubs que l’on peut trouver dans les lycées, voire les universités américaines, sortes de chorales qui mélangent danse et chant qui s’affrontent dans des compétitions d’abord locales puis régionales et enfin au niveau national pour les meilleures. Les chorégraphies comme les costumes de la série dépassent la réalité des vrais Glee clubs mais c’est tout de même très représentatif de la tradition des clubs scolaires avec des activités qui sont très intégrées dans la vie du lycée (cheerleading, marching band etc…). (NB : les Glee Clubs originaux étaient réservés aux hommes dans les établissements scolaires de la fin du 19ème et début du 20ème siècle.)
La série démarre par la volonté du professeur d’espagnol William Schuester de reprendre le Glee Club du lycée. Lui-même ancien élève du lycée et ancienne star du Glee Club qui avait remporté à son époque le championnat national, il se désole de voir la chute de ce dernier dans la hiérarchie très rigide des clubs du lycée (dominée par les équipes masculines de sports US et par les Cheerios ainsi que sont appelés les membres de l’équipe des cheerleaders). Il va s’attacher à recruter de nouveaux élèves plus ou moins talentueux et à convaincre le très dépassé proviseur du lycée de trouver les quelques centaines de dollars nécessaires au financement (quitte à les enlever au Cheerios au grand dam de la coach de l’équipe, un personnage haut en couleur incarné par la très talentueuse Jane Lynch).
Son Glee Club, les « New Directions » va devenir le refuge des mal-aimés du lycée, les invisibles, les impopulaires : tous ceux qu’on appelle les « misfits » aux Etats-Unis (ceux qui ne rentrent pas dans le moule), même si, suite à diverses péripéties, le club s’enorgueillira bientôt de belles ‘prises’ dans l’équipe de football et dans l’équipe des Cheerios. L’intrigue majeure de ces premières saisons, en plus de réussir à former un groupe cohérent et inclusif qui va gagner des compétitions, tournera autour d’un triangle amoureux entre trois personnages : centraux Rachel, la star vocale du groupe, qui ne rentre pourtant pas dans la catégorie des ‘populaires’ et qui ne rêve que partir à Broadway pour suivre les traces de son idole Barbara Streisand, Finn, le quaterback star de l’équipe de football qui sait aussi chanter, et Quinn, la capitaine des cheerleaders, en couple avec Finn au début de la saison 1.
Fans de séries de lycée et/ ou de comédies musicales ne sont donc pas dépaysés car les codes habituels de ces deux genres sont mobilisés et les performances vocales et scéniques sont assez remarquables. Pour autant, la série Glee a eu un impact générationnel indéniable dans l’Amérique d’Obama. Elle semble avoir correspondu et fait écho à un important moment de réveil de la jeunesse américaine autour de diverses revendications que l’espoir initial soulevé par la présidence Obama a mises sur le devant de la scène. Sa diffusion presque parfaitement contemporaine des deux mandats du président démocrate en fait un miroir des débats sociétaux de l’époque. Par ailleurs, le fait qu’elle ait donné naissance à une génération de Gleeks (contractions des mots Glee et Geeks), ces centaines de milliers de jeunes fans de la série et actifs sur les réseaux sociaux au point de parfois avoir un impact sur le déroulement de la série elle-même, montre que la série a atteint un statut particulier de ‘petit’ phénomène de société qui est même mentionné dans d’autres séries contemporaines : HIMYM et The Office US notamment.
The High-School Drama - Les années lycées aux Etats-Unis
Une ‘micro’ société américaine : compétition, dépassement de soi, difficultés et hiérarchies sociales.
Glee nous plonge dans les couloirs et les salles de classe d’un lycée américain. Aux Etats-Unis, les années lycées sont souvent traitées dans la fiction comme des années charnières assez difficiles, où beaucoup de choses se jouent, où les adolescents, en prise en avec les affres typiques de cette époque de la vie doivent se projeter dans ce que sera leur vie après le lycée. La question de l’accès aux études supérieures, et du défi financier que cela représente se pose notamment très vite pour tout lycéen et c’est un thème récurrent dans la série. On ressent le poids que les injonctions parfois contradictoires au succès et à l’aspiration à suivre ou accomplir ses rêves font peser sur les épaules des adolescents. Elle se retrouvent dans le dilemme auquel fait face le personnage de Mike qui rêve de devenir danseur professionnel contre les attentes parentales qui veulent faire de lui un médecin ou un avocat. La question des obstacles académiques comme financiers pour obtenir un diplôme universitaire est aussi récurrente. Will parvient notamment à recruter Finn pour le Glee Club en le menaçant d’une remarque négative sur son dossier scolaire après avoir caché de la marijuana médicale dans le casier de ce dernier. Peut-être plus que pour les autres personnages de la série, l’avenir de Finn, pourtant élève populaire car joueur de l’équipe de football, est un sujet récurrent de la série. Finn est élevé par sa mère veuve suite au suicide de son père, vétéran de la guerre d’Iraq revenu du front avec un syndrome post traumatique qui l’a conduit à diverses addictions.
En sous-texte on comprend que l’avenir de Finn, pourtant au sommet de la hiérarchie du lycée mais élève médiocre, et issu d’une famille ouvrière, n’est pas tout tracé, loin de là. Dans un grand moment de doute, il dit avoir l’expression « high-school hero, real-life zero » tatouée sur le front. Une des seules chances pour Finn d’avoir accès à l’université est d’obtenir une bourse universitaire grâce à ses qualités sportives. Quand cette option s’envole dans la saison 3, après un court et peu glorieux passage par l’armée dans la saison 4, il finira par « trouver sa voie » en tant que coach assistant du Glee Club en attendant d’obtenir une certification pour devenir professeur. S’il finit donc par trouver un projet de carrière qui semble le satisfaire, on est loin de l’avenir brillant qui semble promis à certains autres personnages.
Il est d’ailleurs remarquable que l’autre personnage très marqué ‘classe ouvrière blanche’ de la série, le jeune Sam, dont la famille connaît une période de difficultés financières qui les conduit à perdre leur maison, va aussi choisir une carrière moins ambitieuse que ses camarades : assistant coach au lycée. Les deux jeunes hommes semblent satisfaits de leurs choix de vie mais on ne peut s’empêcher d’y voir un certain déterminisme social avec des destinées qui restent locales et limitées en termes de mobilité sociale.
De façon sûrement peu surprenante pour une série aux codes si américains, la notion de compétition est présente partout. Les grands thèmes très typiques du dépassement de soi, du don du meilleur de soi, de l’expression du potentiel de chacun pour la réussite individuelle mais aussi collective, sont présents à chaque épisode. Le Glee Club semble tout autant faire écho et détonner dans ce contexte.
La raison d’être du club est de gagner les compétitions de chorale dansante. Il faut répéter, être au point et battre les adversaires. Pour autant, le Glee Club de McKinley sous la houlette de Will Schuester offre une approche différente de certains de ses rivaux ou de l’équipe de cheerleaders du lycée, pour lesquels seule la victoire compte. Des auditions sont tenues mais tous les volontaires sont inclus, quel que soit leur niveau de chant et/ou de danse. Will insiste sur le fait que chacun a sa place et que chacun apporte quelque chose et, de fait, le Glee Club, devient le refuge de tous les misfits et autres ‘losers’ du lycée mais il multiplie aussi les situations de compétitions entre ses élèves pour les motiver à donner le meilleur d’eux-mêmes, ce qui parfois change la saine émulation en rivalité féroce. En effet le Glee Club, bien que fondé sur des performances artistiques, doit prouver sa ‘rentabilité’ : les maigres ressources qui lui sont allouées doivent être investies dans une « entreprise qui gagne » au moins au niveau local, à défaut cet argent sera redonné aux cheerleaders qui, elles, remportent des trophées nationaux.
Un système scolaire inégal, qui doit composer avec les difficultés de financement et les difficultés de recrutement
Si l’existence du Glee Club dépend de ses performances, c’est parce que les fonds pour les disciplines artistiques manquent. C’est une des réalités du système scolaire américain qui transparaît dans la série et ce n’est pas la seule. L’éducation artistique est la première à être éliminée des budgets des établissements publics en difficulté financière. Pour rappel, les établissements publics sont financés localement, l’éducation étant une prérogative des états et non du gouvernement fédéral, qui, lorsqu’il s’est piqué de réformes scolaires, a encouragé des modèles qui introduisent des règles de compétitivités et des financements privés dans les établissements scolaires plutôt que des réformes de fonds (notamment le No Child Left Behind de Bush en 2002). Par conséquent, les réalités locales sont très variées en termes de financement et de qualité des enseignements. La tendance de ces dernières années, notamment à la suite de la crise de 2008, a bien entendu été défavorable aux financements structurels de l’éducation publique.
C’est aussi vrai pour le recrutement. La galerie de professeurs dépeinte dans Glee dresse un portrait peu flatteur de ces derniers, de façon certes exagérée, mais qui reflète une réalité peu reluisante. Will est professeur d’espagnol simplement car c’était le poste vacant dans l’équipe et non parce qu’il maîtrise le sujet, ce qui n’est pas le cas…. Il deviendra professeur d’histoire plus tard simplement parce qu’il « aime bien l’histoire ». Cela peut paraître une fantaisie de scénario mais, dans certains districts, la pénurie de professeurs qualifiés est si grave que les autorités éducatives locales recrutent en effet sans qualifications particulières. Les difficultés financières de Will, qui peine à joindre les deux bouts avec son salaire de professeur, la rivalité entre professeurs pour obtenir un poste de titulaire (tenure) montrent aussi la précarité qui sous-tend le système scolaire. Les établissements publics sont sous pression financière et les économies sont faîtes partout où c’est possible, au détriment de la qualité de l’éducation.
La comparaison avec l’établissement privé la Dalton Academy qui est une école contre laquelle McKinley se trouve opposée est d’autant plus marquante. L’établissement est présenté comme une institution où non seulement les conditions matérielles sont idéales mais les attentes académiques plus élevées. Lorsqu’un élève de McKinley, Kurt, quitte le lycée pour Dalton pour échapper au harcèlement que lui fait subir un autre élève à cause de son homosexualité, son père, gérant de magasin de pneus, fait un gros sacrifice financier pour mettre son fils à l’abri.
La pression financière autour de l’éducation est donc une réalité largement représentée dans Glee.
des thèmes incontournables : le suicide des jeunes, les school shootings, les rites de passage (premières fois diverses)
Glee, malgré ses nombreux aspects fantaisistes et irréalistes, n’hésite pas à traiter de front les sujets les plus sensibles qui font partie de la vie des lycéens américains. La série, souvent humoristique et loufoque à bien des égards, fait passer un certain nombre de messages à l’attention de son public cible. Le thème de la santé mentale est abordé notamment lorsqu’un étudiant, rejeté par ses parents à la suite de son coming out, attente à sa vie. Will Schuester en profite pour organiser un temps de parole, sorte de groupe de soutien pour les élèves de son Glee Club.
Il y a aussi un épisode où le lycée est bouclé à la suite de coups de feu tirés dans l’enceinte de l’établissement, d’autres qui se concentrent sur les diverses premières fois des adolescents (alcool, première expérience sexuelle…) avec des messages de santé publique plus ou moins déguisés (par exemple le numéro vert pour le service téléphonique de prévention du suicide apparaît à l’image à la fin de l’épisode qui traite de ce sujet). Là encore s’affirme la dénonciation en filigrane du manque de moyen donnés à l’éducation pour ce genre de sujets.
A ce sujet, on peut citer une scène particulièrement touchante entre le jeune Kurt et son père Burt, Américain moyen typique du Midwest qui aime la musique country, le sport, et les voitures qui passe outre son inconfort et celui de son fils homosexuel face à la fameuse ‘conversation’ sur la sexualité. Cette scène, diffusée en 2010 sur la Fox 5 ans avant la légalisation du mariage gay par la Cour Suprême, n’a pas manqué de résonner dans de nombreux foyers américains.
Glee comme miroir de l’évolution des mœurs et des mentalités aux EU au début du 21ème siècle
- les GLEEKS
Glee n’est, bien entendu, pas la première série à rencontrer un tel écho chez les adolescents et jeunes adultes américains. Pour autant, elle se démarque par la création d’une communauté de Gleeks très actifs sur les réseaux sociaux. La série a généré un nombre de tweets record en 2011, les fans se retrouvant dans des groupes sur Facebook ou Myspace. Certains diffusent sur YouTube des re-créations de leurs performances scéniques préférées. Les show runners profitent de ce phénomène pour organiser des Glee Project : des émissions de télé-réalité sur deux saisons de 2011 à 2013 qui servent de castings ouverts auxquels les jeunes américains sont invités pour tenter de gagner un rôle dans la série.
La question de l’impact des réseaux sociaux sur la vie des jeunes est abordée à plusieurs moments, notamment lorsque Rachel est harcelée par les Cheerios dans les commentaires des vidéos qu’elle poste sur Internet. Cette question du harcèlement et de la réaction qu’il convient d’avoir face au harcèlement est centrale à la fois dans l’intrigue de Glee - en témoigne le nombre de boissons glacées que les membres du Glee Club reçoivent en pleine figure dans les couloirs du lycée - et dans les conversations échangées par les Gleeks sur les réseaux sociaux à l’issue de la diffusion de chaque épisode. Les questions des normes et de leurs transgressions, de la marginalisation de certains individus ou groupes ou de leur affirmation ne pouvaient qu’avoir de solides échos dans l’Amérique de l’ère Obama. Les fans utilisent donc les réseaux sociaux pour s’exprimer sur les développements narratifs de la série mais aussi pour exprimer leur avis sur les implications sociales qu’ils recouvrent. L’exemple le plus frappant est le couple lesbien formé par deux Cheerios : Santana et Brittany, qui est l’un des deux couples homosexuels mis en avant par la série. A l’époque de la diffusion, ce couple est célébré comme une rare représentation d’un couple lesbien qui s’éloigne des stéréotypes qui, dans les fictions, tendent à représenter les lesbiennes comme étant masculines. Lorsque le couple se sépare temporairement et qu’une des deux commence une relation avec Sam, la réaction plutôt négative des fans conduit les scénaristes à l’inclure dans l’intrigue. Brittany rassure Sam sur le fait que la communauté internet saura reconnaître que l’amour quel qu’il soit reste de l’amour.
les questions LGBTQIA et les question d’inclusion et de diversité au sens plus large
Si ce type de message de tolérance peut aujourd’hui paraître un peu simpliste, il faut prendre conscience du chemin parcouru depuis l’époque de la première diffusion où il était inhabituel de voir des couples de lycéens homosexuels en Primetime sur la Fox à un moment où le mariage homosexuel faisait débat dans la société. 2011 est l’année où l’opinion publique américaine bascule majoritairement en faveur de son autorisation, mais il reste vrai que Barack Obama a officiellement abrogé le ‘Don’t Ask Don’t Tell’ instauré sous Clinton qui forçait les homosexuels à rester cachés pour pouvoir servir dans l’armée américaine tout juste une année avant. Par ailleurs, le président américain n’annoncera son soutien au mariage gay qu’en 2012 après une lente évolution de sa position personnelle sur la question. Glee semble accompagner et/ ou encourager une dynamique sociale en faveur d’une acceptation graduelle des minorités sexuelles.
L’acceptation et la célébration de la différence est de fait au cœur de la dynamique scénaristique de la série. Celle-ci s’attaque à de nombreux sujets en plus des questions d’orientation sexuelle : la question de l’inclusion du handicap moteur comme mental est traitée grâce à des personnages principaux ou récurrents en chaise roulante ou atteints de trisomie. Glee va aussi mettre en avant la question de la trans-identité à travers deux personnages eux aussi récurrents à partir de la saison 3, l’un parmi les élèves, l’autre dans l’équipe de professeurs.
Le format de comédie musicale est particulièrement propice à des moments d’affirmation de soi puisque le professeur Schuester va constamment encourager ses élèves à faire de leur identité une force à mettre sur le devant de la scène, ce qui va donner lieu à plusieurs des performances scéniques les plus mémorables, notamment lorsque les élèves doivent reprendre à leur compte des chansons de Lady Gaga. Par ailleurs, ces identités fluides et changeantes à l’intérieur d’un système aussi clairement hiérarchisé qu’un lycée donne à Glee son ressort narratif principal des 3 premières saisons : comment exister lorsqu’on ne correspond pas à la norme ? Quelles injonctions vont être les plus fortes : celles d’une société hétéronormative ou celles de l’accomplissement personnel ? Les débats politiques du moment vont être ainsi repris de façon très réaliste comme lorsqu’ Unique, l’élève transgenre, se voit dans l’impossibilité d’utiliser les toilettes de son choix.
Ces questions qui mettent en avant les relations entre les individus et le groupe ont fait de Glee et de sa communauté de Gleeks un terrain d’exploration pour nombre d’études de sciences sociales qui font pour certaines l’objet de publication qui s’attachent à les analyser. Ces études sont par ailleurs le reflet d’un pays aux prises avec ce qui est appelé une ‘guerre culturelle’ entre progressistes libéraux et conservateurs traditionalistes.
Une série sur l’Ohio et le Midwest : la ‘vraie ?’ Amérique
Les cliches et les réalités sur le small-town / heartland America
La polarisation du débat public aux Etats-Unis a fait l’objet de nombreux commentaires ces dernières années. C’est devenu un lieu commun de l’Amérique du XXIème siècle. Les oppositions binaires sont nombreuses : progressistes contre conservateurs, régions côtières de l’est et de l’ouest contre l’Amérique profonde de l’intérieur des terres, zones urbaines contre zones rurales. Le fait que l’intrigue de Glee soit située dans le centre de l’Ohio, état du Midwest américain, convoque immédiatement certaines représentations stéréotypées chez le spectateur américain. En effet, le Midwest évoque une Amérique sans fard attachée aux valeurs traditionnelles : on y travaille dur, on y aide son voisin, on n’y donne pas dans le chichi des grandes villes côtières et on n’y verrouille pas forcément sa porte à clé le soir, on y va à l’église le dimanche, on y possède un bon sens naturel et on y participe à la vie de la communauté.
Le personnage de Finn est l’incarnation de ce brave type du Midwest : ce patriote, qui mouille la chemise sur le terrain de sport pour porter haut les couleurs de son école, et qui fait preuve d’un bon sens presque terrien dans les situations de stress ou de défi. Quinn, au moins au début de la série, est aussi un archétype de la ‘good girl’ / bonne fille du Midwest, élève studieuse, jeune fille pieuse, présidente du club des abstinents du lycée, issue d’une famille qui obéit à des codes moraux chrétiens stricts. Pour l’anecdote, l’Ohio, et plus précisément la (très) petite ville de Westerville ( ville de la Dalton Academy dans la série ) est le siège de la League Anti-Saloon créée à la fin du 19ème siècle et qui entendait mettre fin au excès et aux déviances de l’Amérique modernisée et industrialisée de l’époque ; dans la « vraie vie » Westerville accueille toujours un campus universitaire ‘sec ‘ c’est-à-dire un campus où la vente et la consommation d’alcool sont interdites ce qui attire les « sponsors » traditionalistes attirés par cette doctrine
Cependant, sous ce vernis se cachent des situations moins positives souvent typiquement associées à l’Amérique des petites villes ou rurale, du moins telle qu’elle est vue depuis les grandes villes de l’est et de l’ouest. Quinn, qui trompe Finn avec le « bad boy » du groupe, tombe enceinte suite à un rapport non protégé qu’elle croit sans risque. Elle parvient même à faire croire à son petit ami officiel qu’elle est enceinte de lui sans avoir eu de rapport. On comprend alors que l’éducation sexuelle à base de prêche évangélique sur l’abstinence est à blâmer. Il est vrai que les états qui fondent leur éducation sexuelle sur des messages d’abstinence sont ceux qui connaissent les taux les plus élevés de grossesse chez les adolescentes. On peut y voir un regard accusateur sur le manque d’adaptation à la modernité et à l’évolution des mœurs de ces régions de l’Amérique qui restent largement influencées par les moralités conservatrices pour ne pas dire rétrogrades. Dans ce contexte, on suit aussi le difficile parcours de Kurt vers l’affirmation de son homosexualité. Il devient une sorte de nouveau pionner qui va ouvrir la voie du progrès à McKinley mais non sans heurts. Par ailleurs, on voit d’autres failles significatives dans le portrait de ce Midwest traditionaliste : les parents de Quinn, au premier abord couple modèle du cœur de l’Amérique, la rejettent à l’annonce de sa grossesse alors même que sa mère cache mal un problème de consommation d’alcool et que son père, malgré ses discours moralisateurs, trompe son épouse.
Dans cette optique, un autre personnage est intéressant à analyser : la coach des cheerleaders qu’on adore détester Sue Sylvester. Ce personnage outrancier est impossible à cerner définitivement. Un peu comme le Midwest et ses représentations paradoxales, elle est capable du pire comme du meilleur. Elle peut se lancer dans des diatribes acerbes qui laissent transparaître toutes sortes de préjugés crasses et autres stéréotypes racistes et homophobes (avec le recul elle pourrait presque être un signe de l’arrivée de Trump au pouvoir) tout comme elle peut se montrer intransigeante envers le harcèlement que subit Kurt ou prête à tout pour protéger sa sœur ou son élève préférée toutes deux atteintes de trisomie. Lorsque Sue se pique de politique et se présente aux élections pour représenter sa circonscription au Congrès américain, elle fait appel aux valeurs conservatrices et bâtit son programme électoral sur le gaspillage des impôts payés par les bonnes gens de l’Ohio dans des cours d’arts dramatiques jugés inutiles et responsables de la corruption de la jeunesse par les élites libérales qui les détournent de la vraie identité américaine.
Les tensions sur ce que sont les valeurs et la « vraie » Amérique sont décidément au cœur de la dynamique politique de Glee.
On comprend alors assez aisément pourquoi la plupart des élèves du Glee Club ne rêvent que de l’ailleurs que représente New York, capitale des arts et de la culture, cosmopolite et progressiste où tous ceux qui se sentent à part à McKinley sont supposés trouver leur voie et être acceptés pour eux-mêmes sans difficulté. Les modèles de succès qui motivent les élèves sont en effet les stars de Broadway ou d’Hollywood, ou des chanteurs et chanteuses stars qui sont associés au mode de vie des élites globalisées cosmopolites. Certaines font même des apparitions dans la série soit dans leurs propres rôles : Olivia Newton John, Patti LuPone, Britney Spears, ou encore Gwyneth Paltrow et Ricky Martin qui jouent le rôle de professeurs pendant quelques épisodes, Gloria Estefan et Jeff Goldblum sont aussi au casting en tant que parents. New York ou Los Angeles sont les horizons à atteindre pour les stars en herbe qui rêvent de gloire et qui se sentent engluées ou limitées dans le centre ‘endormi’ de l’Amérique. Pour autant, tout n’est pas facile à NY ou à LA. Les membres du Glee Club que nous suivons à New York se retrouvent face à l’adversité et à l’anonymat de la grande ville. Leur rêve américain ne va pas de soi, et assez ironiquement ils se joindront à la marche en soutien à un jeune gravement blessé suite à une agression homophobe qui a eu lieu à New York. Le père de Kurt, ce brave type du Midwest réagit par l’incompréhension et avec colère face à cet évènement ; New York ne tient pas toutes ses promesses d’émancipation et les scénaristes font régulièrement revenir les anciens de New Directions à Lima comme si la petite ville représentait une sorte de retour aux sources nécessaire malgré ses défauts.
L’Ohio : un état particulièrement intéressant pour refléter les évolutions et les dynamiques politiques et sociales aux EU
Pourquoi l’Ohio ? Pour une série qui s’attache à se faire l’écho de l’évolution des mœurs américaines, il y a une certaine logique à choisir l’Ohio comme cadre géographique. Pendant longtemps, l’Ohio a été considéré comme le baromètre politique de la nation. En effet, depuis les années 60 l’état votait comme la nation aux présidentielles, il était donc commun de dire que l’Ohio était non seulement un swing state qui pouvait basculer d’un parti à l’autre suivant l’air du temps mais aussi que l’état était une sorte de condensé représentatif de l’Amérique, qui permettait jusqu’à encore récemment de prendre le pouls du pays. Cela s’explique par une certaine hybridité de l’état à la fois rural et urbain avec les élevages de cochons autour de Cincinnati et les industries autour de Cleveland. C’est aussi un état qui mélange une population de cols bleus et de cols blancs grâce au campus de Ohio State University (OSU) qui est le deuxième plus grand des EU en termes de nombre d’étudiants. C’est aussi un état où les zones industrielles fournissaient une réserve de voix pour les démocrates grâce au lien du parti avec les syndicats puissants tout en gardant des électeurs fidèles au parti républicain dans les zones plus rurale ; les deux blocs d’électeurs sont numériquement similaires et il y a aussi un grand nombre d’électeurs indépendants qui traditionnellement font pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Enfin la démographie de l’état a longtemps reflété celle du pays. Toutes ces raisons ont fait de l’Ohio un état qui, tous les quatre ans, devenait le point de mire des campagnes électorales et suscitait l’intérêt des médias.
Obama a remporté deux fois l’Ohio ce qui à l’époque de la diffusion de Glee pouvait suggérer que l’état s’engageait dans une tendance progressiste, qui pouvait se voir dans l’évolution des mentalités au gré des saisons. Cependant l’Ohio a voté deux fois pour Trump avec des écarts de voix sensiblement plus élevées que lors des autres élections ; l’état semble plutôt être en train d’amorcer un virage conservateur qui peut s’expliquer par une tendance démographique différente des états voisins qui sont repassés dans le giron démocrate en 2020 comme le Wisconsin ou le Michigan.
En effet, la population de l’Ohio évolue vers une part de la population blanche qui reste plus élevée que ses voisins immédiats. Au-delà de l’élection présidentielle la politique locale est largement dominée par le parti républicain qui profite d’une majorité confortable au Congrès local. Les parlementaires locaux ont fait les gros titres ces derniers temps en imposant des lois très restrictives sur l’avortement notamment les « heartbeat bills » qui interdisent les avortements dès qu’un battement de cœur fœtal peut être perçu. Cette mainmise républicaine sur la politique locale leur permet aussi de décider de découpages électoraux très favorables. L’agenda socialement conservateur y tient donc le haut du pavé. D’ailleurs, la première étape de la tournée de meeting post -présidentiels de Donald Trump a été Cleveland. On y observe un repli identitaire assez remarquable sur l’Amérique blanche, à tel point que, dans certains comtés ruraux, des drapeaux confédérés apparaissent dans les jardins et sur les voitures quand bien même l’Ohio n’a pas été sécessionniste. Dans l’ère polarisée à l’extrême de la politique américaine, l’état modéré par excellence semble avoir choisi son camp.
CONCLUSION : GLEE 6 ans plus tard :
La série s’est achevée au bout de 6 saisons en 2015. Elle est désormais disponible sur plusieurs plateformes en l’occurrence Netflix, Disney + et Amazon Prime Video. Elle compte toujours ses fans actifs sur les réseaux sociaux mais a connu son pic de popularité bien avant la fin de la série. La mort de Corey Monteith qui incarnait Finn l’a privée d’un de ses piliers et les hésitations scénaristiques entre suivre les New Directions originels à New York et la nouvelle promotion à Lima n’auront pas aidé à maintenir la popularité de la série ce qui s’est vite ressenti sur les audiences des deux dernières saisons qui semblaient tourner en rond. Depuis elle a acquis le statut de série maudite puisque deux autres acteurs sont décédés de morts violentes.
Le phénomène Glee a été de courte durée mais l’impact durable sur la représentation des communautés LGBT+ dans la culture populaire et sur l’évolution des mentalités n’est pas à négliger. Le chemin à parcourir aux Etats-Unis comme ailleurs reste long mais certaines portes jusque-là fermées s’ouvrent petit à petit. Par exemple, dans le sillage de Megan Rapinoe, il y a quelques jours un joueur de la NFL a été le premier de la ligue à déclarer publiquement son homosexualité sur les réseaux sociaux ou encore les élections de 2020 ont vu l’arrivée au Congrès américain de la première sénatrice transgenre.
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE :
Sur le Midwest et l’Ohio
Halvorson, Britt, and Joshua Reno. 2019. "What is the Midwest Thinking? U.S. Regionalism and Nationalism." Member Voices, Fieldsights, March 7.
Arnold Amanda, 2017. “Why Literature and Pop Culture Still Can’t Get the Midwest Right” LitHub
Fictions:
Main Street, by Upton Sinclair, 1920
Winesburgh, Ohio by Sherwood Anderson, 1919
Articles de presse:
Weigel David. “The Seven Political States of Ohio” October 11, 202. The Washington Post
Sur Glee dans les sciences sociales:
Brown, Sonya C. “Body Image, Gender, Social Class, and Ethnicity on ‘Glee.’” Studies in Popular Culture, vol. 36, no. 2, 2014, pp. 125–147. JSTOR
Johnson Brian C and Faill Daniel K. 2015. “Glee and New Directions for Social Change” Sense Publishers.